ÉDITIONS PLEIN CHANT

(LES AMIS DE PLEIN CHANT)


Octobre 2019


Le rat bibliothécaire

une fable par Stanislas de Boufflers





Le Rat bibliothécaire, par Stanislas de Boufflers (1738-1815),  parut dans les Œuvres du C.[hevalier] Stanislas Boufflers,…, Seule Édition avouée et corrigée par l’Auteur… (Paris, L. Pelletier, Libraire, AN XI [1803]), pp. 265-268). On trouve le texte plus facilement, mais modernisé, dans les Œuvres de Boufflers (Paris, Eugène Didier, 1852), p. 249.


     


Le rat bibliothécaire.

Qu’on dise, si l’on veut, que les rats sont des bêtes ;
Pour moi, mille raisons me les font estimer ;
Mille femmes d'esprit en logent dans leurs têtes (1),
Et certes ce commerce est bien propre à former.

Timides commenseaux dont la plupart des hommes
        Font rarement assez de cas,
Ils n'en pensent pas moins quoiqu'ils ne parlent pas ;
Différens en ce point de tous tant que nous sommes ;
Ils ont même du goût pour les arts libéraux,
Et dans plus d'un grenier se trouvent des musées
À l'usage des rats amateurs de tableaux ;
        Ils tiennent aussi des lycées, 
        Où plus d'un critique mordant
A plus d'un pauvre auteur donne des coups de dent.
        Plusieurs d'entre eux, vrais petits gnomes,
S'exercent sous la terre au métier des mineurs ;
D'autres, dans les donjons, rusés observateurs,
       Se donnent des airs d'astronomes.
Bref, ils ont comme nous leurs savans de tous rangs,
        Et comme nous leurs ignorans ;
En plus petit format ce sont nos seconds tomes.
        Mais je veux parler dans mes vers
        Du premier rat de l'univers ;

C'était Grignot (2), l'honneur de la nation grise ;
Le monde entier voyoit Grignot avec surprise,
Tous les siens étoient fiers d'un aussi docte rat ;
Rat de ville ou des champs, ou de cave, ou d'église, (3)
Pas un seul, dieu merci, qui ne le vénérât ;
Tous en pélerinage arrivoient d'une lieue,
        Pour baiser le bout de sa queue ;
        Rates et rats de tout pays
Envoyoient leurs enfans en foule à son école,
Comme si c'eût été Pic de La Mirandole
        En fourrure gris de souris.
De lui toute sa classe est enthousiasmée,
Les autres professeurs de lui sont tous jaloux ;
       On voit que c'est comme chez nous ;
       Mais qu'importe à la renommée,
       Son favori craint peu les envieux ;
       Et quand ils seroient une armée,
Ne sont-ils pas à terre, et lui parmi les dieux ?

C'est assez discourir, venons à notre affaire :
Ratopolis (4) vouloit un bibliothécaire
Pour soigner un dépôt trop long-temps négligé ;
Le rat, qu'auparavant on en avoit chargé,
Faute de savoir lire avait eu son congé,
Chose que parmi nous par fois on devroit faire.
Notre docteur, nommé par acclamation,
        Entre aussitôt en fonction ;
Aux plus petits détails il donne un soin extrême ;
Point d'objet qui par lui ne soit cotté, noté,
        Et de sa patte étiqueté ;
       Car le docteur a pour systême,

Qu'un bon chef doit tout voir, tout faire par soi-même.
Il rassemble d'abord les mémoires des rats,
Pour servir à quiconque écrira leurs histoires ;
        Et puis les manuscrits des chats,
        Comme pièces contradictoires ;
Il sauve, non sans peine, un gros tas de journaux,
Gardés dans le dessein d'allumer des fourneaux,
Et des ballots d'écrits que nos savans ignorent,
        Et mille poëmes charmans,
        Et cent mille jolis romans
Que nous ne lisons point, mais que les rats dévorent ;
        Et les bons mots de Psicarpax, (5)
        Et les satyres d’Artarpax,
        Et la morale de Rapax ;
Et sur-tout le récit de ce fameux voyage,
       
Que jadis un rat en bas âge,
A l'exemple d'Hannon (6), entreprit le premier,
Lorsqu'il osa franchir l'Apennin, le Caucase,
Et prouver, trotinant du Tibre jusqu'au Phase,
Que les rats ont aussi leur petit Tavernier (7).
Mais en vain des héros on parle avec emphase,
Il leur faut un poëte ; et l'on ne peut nier
Que, sans Homère, Ulisse auroit perdu sa peine,
Comme le souriceau sans le bon La Fontaine (8).
     
      Au milieu de tant de trésors,
      Que fit le bibliothécaire ?
Il en fit des extraits, mais sa façon d'extraire
Nourrissoit un peu moins son esprit que son corps ;
      Et ce grand amas de science
Passa dans l'estomach, non dans l'intelligence.
Or, savez-vous, messieurs, ce qu'il en arriva ?
                         Il en creva.

   Petits esprits, ce que je viens de dire,
        C'est bien pour vous que je l'ai dit :
        Messieurs, ce n'est pas tout de lire,
        Il faut digérer ce qu'on lit (9).



    
 
 

N O T E S
1. Avoir des rats dans la tête. Avoir des caprices, des idées bizarres. (Dictionnaire de l'Académie française 1798-1878).
2. Grignot. Le nom propre est formé sur le verbe grignoter, inventé pour désigner le bruit caractéristique fait par les rats quand ils s'attaquent au papier.
3. Rat de cave. Expression populaire, désignant un employé des contributions indirectes chargé de vérifier les caves. Rat d'église : Expression méprisante pour désigner l'employé d'une paroisse et, par extension, une personne qui fréquente assidûment une église, un presbytère, une sacristie. Rappelons que Fernand Fleuret et Louis Perceau publieront en 1920, dans la collection Les Maîtres de l'Amour de la Bibliothèque des Curieux, une nouvelle édition de L'Arrétin (1763) par le sulfureux abbé du Laurens sous le titre L'Arétin moderne et signée du pseudonyme Radeville et Deschamps.
4. Ratopolis. La ville (polis, en grec) des rats. Le nom vient de la fable de La Fontaine, Le Rat qui s'est retiré du monde (Livre VII, 3).
5. Psicarpax. Voleur de petits morceaux (en grec psichos = miette, arpax = pillard. Le nom, et celui qui  suit, Artapax, sont empruntés à la fable de Fontaine intitulée Le Combat des rats et des belettes (livre IV, 6) où le nom est encadré par ceux de Artapax et Méridarpax. Artapax fut inventé par La Fontaine, sur le modèle de Psicarpax et Méridarpax, qui viennent de la Batrachomyomachie (Batrakos signifie en grec grenouille, Mu rat, machie  le combat), une parodie de l'Iliade attribuée à Homère, très lue au XVIe siècle. Rapax est inventé par Boufflers, sur le modèle des noms précédents.
 6. Hannon, dit Hannon le Navigateur, est un explorateur carthaginois du VIe ou VIIe siècle avant J.C.
7. Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689) est connu pour Les six voyages de Jean Baptiste Tavernier,… qu'il a fait en Turquie, en Perse et aux Indes, pendant l'espace de quarante ans… accompagnez d'observations particulières sur la qualité, la religion, le gouvernement, les coutumes & le commerce de chaque païs… (Paris, 1676, 2 vol.)
8. Allusion à la fable de La Fontaine, Le Cochet, le Chat et le Souriceau (VI, 5), 1668. Le cochet était un petit coq, qui semblait épouvantable au souriceau, à tort car le méchant, qui lui paraissait doux, était le chat. Moralité : Garde toi tant que tu vivras/De juger des gens sur la mine.
9. Jules Renard écrira dans son Journal (18 mars 1890)
« Un pédant est un  homme qui digère mal intellectuellement. »

 
  







Stanislas de Boufflers

 


St. J. de Boufflers

Portrait emprunté au premier tome des
Œuvres du chevalier de Boufflers,
Nouvelle édition ornée de neuf figures
Paris J. N. Barba, 1828.

L’auteur, quelques dates.
Stanislas Boufflers, né à Nancy le 31 mai 1738, fils de la marquise de Boufflers, surnommée la Dame de volupté et maîtresse officielle du roi Stanislas Leczinski, fut élevé dès l’âge de neuf ans à la cour de Lunéville. En 1860 il entre au séminaire de Saint-Sulpice, compose des chansons licencieuses, écrit un conte, La reine de Golconde, publié en 1761 sous l’anonymat. L’ouvrage connut un grand succès — un succès de scandale. Il circula manuscrit, et nombreux en furent les manuscrits, mais l’abbé de Boufflers dut quitter le séminaire. Voltaire l’accueille à Ferney (décembre 1764-janvier 1765), il a vingt-six ans, Voltaire soixante-dix, — le chevalier Boufflers s’amuse et il amuse, écrit Uzanne dans sa notice pour les Contes du chevalier de Boufflers (Paris, A. Quantin, 1878). Voltaire, dans une lettre au duc de Richelieu (21 janvier 1765) le décrit montant à cheval dès cinq heures du matin pour aller peindre des femmes — un verbe plein de sous-entendus, mais il est vrai que le chevalier peignait aussi, ou dessinait de réels portraits, — à Lausanne, à Genève. Boufflers avait écrit en 1766 une longue Épître à Voltaire que l’on pouvait lire en 1772 dans une lettre à sa mère (Lettres de M. le chevalier de Boufflers, pendant son voyage en Suisse, à Madame sa mère, En Suisse, 1772), lettre IX, p. 23, d’où l’on extrait ce passage :
      Je voudrais bien changer de vie.
Soyez mon directeur, donnez-moi vos avis ;
      Convertissez-moi, je vous prie :
      Vous en avez tant pervertis !

Réponse de Voltaire page 25, ici abrégée, qui montre combien il appréciait le jeune Boufflers, et son avis mérite considération :
Régner est un amusement
Pour un vieillard triste & pesant,

De toute autre chose incapable ;

Mais, vieux poëte, vieil amant.
Vieux chanteur est insupportable.
C’est à vous, ô jeune Boufflers,
A vous dont notre Suisse admire
Les craïons, la prose et les vers,
Et les petits contes pour rire,
C’est à vous de chanter Thémire,
Et de briller dans un festin,
Animé du triple délire
Des vers, de l’amour, et du vin.

Boufflers devient chevalier de Malte, jusqu’en 1784 il est militaire, puis quitte l’armée. En 1785, il est nommé gouverneur du Sénégal et de l’Île de Gorée, une fonction gardée jusqu’en décembre 1787. Revenu à Paris il est, en 1788, élu à l’Académie française, puis l’année suivante — année mémorable ! — il exerce, aux États généraux la fonction de député de la noblesse. Après la journée historique du 10 août 1792 (des sans-culottes prennent les Tuileries, Louis XVI est emprisonné avec femme et enfants) il émigre pour vivre en Pologne prussienne mais l’ennui et le mal du pays le forcent à revenir en France, ce qui lui est rendu possible après le coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799) qui permit l’arrivée au pouvoir de Napoléon Ier. Il reprendra en 1803 son siège à l’Académie française. En 1808 il publie un ouvrage sérieux, Le libre arbitre (Paris, F. Buisson), écrit, semble-t-il, tout ou partie en Pologne Prussienne : « J’écrivais dans la solitude, au milieu des plus sauvages forêts […] Privé à la fois des consolations que j’aurais pu trouver dans la société et dans la lecture, je me suis vu réduit à converser avec moi, et forcé de borner mes lectures à lire au fond de ma pensée » (Le libre arbitre, Avertissement de l’auteur, pages XI et XII). Fayolle (François F., 1774-1852), auteur de la notice sur Boufflers dans la Biographie universelle de Michaud (tome 59, Supplément, 1835), p. 74 et suivantes, n’a pas du tout aimé ce livre, jugeant que Boufflers s’était attaqué à un sujet trop sérieux pour lui pour finir noyé dans les « ténèbres théologiques et métaphysiques ». Boufflers termine sa vie de poète libertin en devenant agriculteur : « Voilà mon dictionnaire de rimes, disait-il en montrant sa charrue et sa herse. — Voilà mes poésies, disait-il en montrant ses blés, ses colzas, ses luzernes et ses avoines. » (Arsène Houssaye, Galerie de portraits. Le dix-huitième siècle, Paris, Charpentier, 1845, p. 230).

Nommé bibliothécaire-adjoint de la Bibliothèque Mazarine le 15 juin 1814, Stanislas Boufflers meurt le 18 janvier 1815. Voici en guise de conclusion une phrase de la notice du bibliophile Octave Uzanne pour une édition des Contes du chevalier de Boufflers citée plus haut : « M. de Boufflers a été successivement abbé, militaire, écrivain, administrateur, député, philosophe, et, de tous ces états, il ne s’est trouvé déplacé que dans le premier. »


Le personnage.


Les critiques littéraires ont attribué à Rivarol une suite de paradoxes brillants, souvent citée, pour définir Stanislas Boufflers, lui-même homme d’esprit aimant jouer avec les mots : « Abbé libertin, Militaire philosophe, Diplomate chansonnier, Émigré patriote, Républicain courtisan ».

Jean-Jacques Rousseau, lucide mais mal à l’aise devant un homme d’esprit, apprécié dans le monde, se trouvait bien lourd face à la légèreté de celui qui était encore l’abbé de Boufflers : ce « jeune homme aussi brillant qu’il soit possible de l’être ne me parut jamais bien disposé pour moi […], la grâce et le sel de ses gentillesses appesentissaient encore mes lourds spropositi [italien, propositions hors de propos] » (Les Confessions, livre XI). Plus loin : « Avec autant d’esprit, il eût pu réussir à tout ; mais l’impossibilité de s’appliquer et le goût de la dissipation ne lui ont permis d’acquérir que des demi-talents en tout genre. En revanche, il en a beaucoup, et c’est tout ce qu’il faut dans le grand monde, où il veut briller. Il fait très bien de petits vers, écrit très bien de petites lettres, va jouaillant un peu du cistre, et barbouillant un peu de peinture au pastel. »
Dans La Galerie des Etats-Généraux (1789, ouvrage sans nom d’auteur ni d’éditeur, mais attribué au marquis de Luchet, à Rivarol, Mirabeau, Choderlos de Laclos), Boufflers apparaît sous le pseudonyme de Fulber, étrillé avec énergie : « Fulber eût été le plus heureux des hommes s’il avoit pu demeurer toujours à vingt-cinq ans. Écrits voluptueux, couplets amusans, vers agréables, cette foule de riens qui font les hochets d’une jeunesse partagée entre l’amour et les talens, donnent une espèce de célébrité, mais lorsque la saison des folies aimables est passée, lorsque la raison vient revendiquer ses droits, elle rejette, ou du moins rougit des succès dus à de si petites causes » (p. 87). Deux pages plus loin, l’auteur paraphrase les paradoxes sur Boufflers attribués à Rivarol : « Né sérieux, il veut être gai ; frivole, il veut être grave ; bon, il veut être caustique ; paresseux, il veut jouer le travailleur », aussi peut-on croire que le cruel portrait de Fulber-Boufflers est dû à Rivarol qui se répète sans se répéter vraiment. L’Esprit des journaux nationaux et étrangers, tome Χ, janvier 1818 republiera page 226 le portrait de Boufflers sous le titre « M. de Boufflers, par Rivarol », mais en précisant : « Ce morceau a été écrit en 1790 ».

Boufflers et La Fontaine.

Boufflers fut grand lecteur de La Fontaine, il le prouve dans cet envoi :
A MADAME D***

En lui envoyant un exemplaire d’une nouvelle édition des Fables de La Fontaine.

    Voici le bon homme qui fit
     Cent prodiges qui nous enchantent,
     Des fables qui jamais ne mentent,
     Et des bêtes pleines d'esprit.
La morale a besoin, pour être bien reçue,
Du masque de la fable et du charme des vers ;
Et c’est la seule vierge, en ce vaste univers,
     Qu’on aime à voir un peu vêtue.
     Si Minerve même ici-bas
    Venait enseigner la sagesse,

     Il faudrait bien que la déesse
A son profond savoir joignit quelques appas ;
Le genre humain est sourd quand on ne lui plaît pas.
Pour nous éclairer tous, sans offenser personne,
La charmante Minerve a pris vos traits charmants.
     En vous voyant je le soupçonne,
     J’en suis sûr quand je vous entends.

(Œuvres de Boufflers, Paris, E. Didier, 1852, p. 220)

Les lecteurs d’Aline, reine de Golconde remarquent cette familiarité avec les fables de La Fontaine en lisant dans le conte qu’Aline portait un pot à lait sur la tête lorsque le héros lui fit les premières avances : « Aline voulut se défendre de mes caresses, et dans les efforts qu’elle fit, son pot tomba et son lait coula à grands flots dans le sentier » et ils pensent immédiatement à Perrette, dans La laitière et le pot au lait :
Perrette sur sa tête ayant un pot au lait
     Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.

Perrette imagine tout ce qu’elle pourra acheter son pot au lait une fois vendu, et saute de joie mais « Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ». Chez Boufflers, la chute d’Aline permet au héros de paraître la relever, alors qu’en réalité il se couche et reste couché sur elle. Les lecteurs apprendront plus loin que ce jour-là un enfant fut conçu.
Boufflers, lit-on dans le Dictionnaire de Jal (Dictionnaire critique et biographie et d’histoire, Errata et Supplément… par A. Jal, Paris, H. Plon, 1867, p. 261), encore au séminaire et tout abbé qu’il était « referma, pour ne plus les ouvrir, la Somme de saint Thomas et la Cité de Dieu de saint Augustin, et ouvrit, pour ne plus les refermer, les historiettes grivoises de La Fontaine et de Vergier. »

Un ami de Boufflers, le prince de Ligne, le rapprochait, avec une grande finesse de La Fontaine : « il a quelquefois l’air bête de La Fontaine. On dirait qu’il ne pense à rien lorsqu’il pense le plus. » (Lettres et pensées du maréchal Prince de Ligne, publiées par Mme de Staël, Londres, 1809, t. II, p. 206), ce qui n’avait rien d’injurieux ou d’indélicat. La Bruyère, en son temps, avait bien senti le vrai La Fontaine, le décrivant sans le nommer : « Un homme paraît grossier, lourd, stupide ; il ne sait pas parler, ni raconter ce qu’il vient de voir ; s’il se met à écrire, c’est le modèle des bons contes ; il fait parler les animaux, les arbres, les pierres, tout ce qui ne parle point : ce n’est que légèreté, qu’élégance, que beau naturel, et que délicatesse dans ses ouvrages » (Les Caractères, « Des jugements », 56, 6, Classiques Garnier, 1991, p. 368).

Textes plus ou moins libertins.


- Un quatrain paradoxal « Sur sa maîtresse » (Œuvres de Boufflers, Paris, E. Didier, 1852), p. 231 :

J’ai plusieurs maîtresses en elle,
Et je jouis à chaque instant
Du mérite d’être constant
Et du plaisir d’être infidèle.


- Une chanson vraiment libertine, à lire dans les Œuvres mêlées de M. le chevalier de Boufflers, et de M. le marquis de Villette (Londres, 1782), p. 89 :

Le bon avis.

Air : Du Serin qui t’a fait envie.

 Faisons l’amour, faisons la guerre,
Ces deux métiers sont pleins d’attraits.
La guerre au monde est un peu chere ;
L’amour en rembourse les frais.
Que l’ennemi, que la bergere
Soient tour à tour serrés de près.
Quand on a dépeuplé la terre,
Il faut la repeupler après.
- Une autre, plus allègre, lue dans les Contes théologiquesou Recueil presque édifiant (Paris, De l’Imprimerie de la Sorbonne et se vend aux Chartreux, chez le Portier, 1783), p. 245) :

A MIMI.

Air : Tiens voilà ma pipe, &c.

Quand je t’aurai, Mimi,
Je t’aurai bientôt mis ;
Et quand je t’aurai mis,
J’aurai bientôt remis.
Quand j’aurais mis, remis,
Autant que j’ai promis,
Je t’aimerai, Mimi,
Comme avant d’avoir mis.
Un partisan de Boufflers.
 
Citons dans un autre genre une amicale et louangeuse, par Bernard de Bonnard, dit le chevalier de Bonnard (1744-1784, « Épître du chevalier de Bonnard à Boufflers », publiée pour la première fois sous l’anonymat par Claude Sautereau de Marsy (1740-1815) en 1791, mais plus accessible dans les Œuvres complètes de Boufflers, Paris, Furne, premier volume, 1827, p. 59 :

Tes voyages et tes bons mots,
Tes jolis vers et tes chevaux
Sont cités par toute la France ;
On sait par cœur ces riens charmans
Que tu produis avec aisance ;
Tes pastels frais et ressemblans
Peuvent se passer d'indulgence.
Les beaux-esprits de notre temps,
Quoique s'aimant avec outrance,
Troqueraient volontiers, je pense,
Tous leurs drames et leurs romans
Pour ton heureuse négligence
Et la moitié de tes talens.


Boufflers et la postérité.


L’édition des Œuvres de Boufflers en 1852, chez Eugène Didier, appartenait à la collection « Bibliothèque de l’esprit français » en compagnie, pour le dix-huitième siècle, de Chamfort, Duclos, Piron. Eux sont encore lus, Boufflers est oublié, pourquoi ? Il écrivit de nombreux madrigaux et des contes légers, toujours appréciés par une catégorie de lecteurs — encore faut-il trouver des publications accessibles — mais il a droit à la reconnaissance de tous dans la mesure où, dans sa vie de député, il fit accepter par l’Assemblée nationale un décret qui encourageait les arts utiles, et demanda que fût accordé aux inventeurs et chercheurs un droit de propriété sur leurs inventions ou découvertes (voir le Rapport fait à l’Assemblée nationale… par M. de Boufflers… dans la séance du jeudi au soir 30 décembre 1790, Paris, De l’Imprimerie nationale, 1791). La conclusion du Rat bibliothécaire adressée aux petits esprits, le contraire des gens d’esprit, « Messieurs, ce n'est pas tout de lire, / Il faut digérer ce qu'on lit » appartiendrait-elle au genre des vérités éternelles, à l’instar des moralités de Jean de La Fontaine ? On le croirait volontiers puisqu’on lit, par exemple, dans Le Réalisme de Champfleury : « il y a des gloutons qui chargent leur esprit et leur estomac sans trop savoir comment se passera la digestion » ([1857], Genève, Slatkine Reprints, 1993, page 25). À moins que Champfleury ne se soit souvenu de Boufflers, ce qui, d’ailleurs, serait un éloge à la fois pour lui-même, pour Stanislas Boufflers et pour Jean de La Fontaine.





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