ÉDITIONS PLEIN CHANT

(LES AMIS DE PLEIN CHANT)

Avril 2022


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Le Régiment de la Calotte
ou
Il y a calotte et calotte


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Le mot calotte appartient à plusieurs genres de langage. Parmi les définitions du Littré on trouve celle-ci : « par dénigrement [le mot désigne] les prêtres, le clergé. A bas la calotte ! » Ce n’est pas de cette calotte qu’il s’agit ici, mais d’une société facétieuse fondée en 1702 à la fin du règne de Louis XIV par deux hommes : Torsac (Philippe Emmanuel de La Place de Torsac), dont la fonction était celle d’un exempt [entendre exempté] des gardes du corps, c’est-à-dire un officier qui commandait seulement en l’absence du capitaine et des lieutenants, et le sieur Aymon (Étienne Isidore Théophile Aymon) porte-manteau du roi, personnage familier de la cour, tenant pour le roi le rôle d’un valet de chambre. Le Littré donne ensuite la définition qui nous intéresse : « Régiment de la calotte, société de beaux esprits satiriques du XVIIe et du XVIIIe siècle ». Ces beaux esprits appartenaient à la noblesse, beaucoup étaient militaires. Le Régiment de la Calotte était formé de Calotins (ou Calottins) qui voulaient réformer le style de leurs contemporains et l’esprit du temps en publiant et distribuant des satires sortant de l’ordinaire, manuscrites ou imprimées.
   Pourquoi ce nom, Calotte ? Il vient du latin, calva (crâne), puis adopté par l’Église il désigna un petit bonnet qui couvrait le haut de la tête de certains hommes d’Église. Dans le langage courant on disait de quelqu'un qui avait la tête légère qu'il aurait besoin d'une calotte de plomb pour maintenir ses idées en place, voilà donc notre Calotte ou plutôt celle du Régiment.

Le Régiment de la Calotte déplaisait fort à Voltaire (pourtant homme d’esprit par excellence ! mais peut-être réticent parce qu’il était un vrai  homme d’esprit) qui écrivit tout le mal qu’il pensait des Calottins dans Mémoire sur la satire (1739), à l’occasion d’un libelle de l’Abbé Desfontaines contre lui-même dont un passage (ci-dessous, mais abrégé) est intitulé Des satires nommées Calottes.


 Au milieu des délices pour lesquelles seules on semble respirer à Paris, la médisance et la satire en ont corrompu souvent la douceur. L’on y change de mode dans l’art de médire et de nuire comme dans les ajustements. Aux satires en vers alexandrins succédèrent les couplets ; après les couplets vinrent ce qu’on appelle les calottes. Si quelque chose marque sensiblement la décadence du goût en France, c’est cet empressement qu’on a eu pour ces misérables ouvrages. Une plaisanterie ignoble, toujours répétée, toujours retombant dans les mêmes tours, sans esprit, sans imagination, sans grâce, voilà ce qui a occupé Paris pendant quelques années ; et pour éterniser notre honte, on en a imprimé deux recueils, l’un en quatre, et l’autre en cinq volumes : monuments infâmes de méchanceté et de mauvais goût, dans lesquels, depuis les princes jusqu’aux artisans, tout est immolé à la médisance la plus atroce et la plus basse, et à la plus plate plaisanterie. […]

Les deux recueils mentionnés sont Recueil des pièces du Régiment de la Calotte (Paris, chez Jaques Colombat, L’An de l’Ère Calotine, 7726 [entendre 1726]), et Mémoires pour servir à l’histoire de la Calotte (AUX ÉTATS CALOTINS, DE L’IMPRIMERIE CALOTINE, première édition, 1754). Aux pages 14-16 on pouvait lire un Brevet de la Calotte pour Arrouet de Voltaire, ici abrégé :

[…]

Après information faite

De sa legereté de tête,

Et débilité de cerveau,

Où gît toujours transport nouveau,

Nous le déclarons lunatique,

Et très-digne de notre Clique ;

[…]

Fait l’an de l’Ère Calotiere,

Sept mille sept cent vingt et six ;

De notre Ramedan [Ramadan] le dix.

Page 145 du même ouvrage, on lit une autre attaque contre Voltaire, nommé par les initiales de son vrai nom, François Arouet [et non Arrouet] augmenté de l'initiale V du nom  Voltaire  :


LETTRES

DE BOUG… [lire Bougre, terme péjoratif] D’ASNERIE,

Pour le Sr ARROUET DE VOLTAIRE.

GILLES, BLAISE, JOB, MARTIN, DEG… par la grace d’Apulée et sous l’autorité de Midas, Grand-Maître de l’ordre, Societé, suprême Tribunal, Protecteur de l’Académie des Boug… d’ânes du Royaume : A tous nos Sujets, Associés, Freres, Confreres, Amis, Ennemis qui ces présentes, etc.
SALUT, sçavoir faisons que, vu la Requête à nous présentée par F. A. de V., Filosofe, peintre, géométre, astronome, poëte, historien, gramairien, téologien, matématicien, musicien, fisicien, académicien, payen, crétien, lutérien, comédien, etc. par laquelle il nous expose que le désir qu’il a d’être de tous les Corps l’ayant engagé à travailler depuis longtems pour mériter nos suffrages, il a présumé par notre silence à son égard, que nous ne l’avions pas encore jugé digne d’entrer dans notre illustre Compagnie, mais que ne perdant point de vue le projet qu’il a formé de devenir à la fin notre confrère, il vient de se déterminer à retravailler, repolir, refondre, raccommoder, mutiler et remettre sur le théâtre à l’usage des Boug… d’ânes les poëmes tragiques de quelques Auteurs, et notamment Helectre [Electre] et Quatilina [Catilina] d’un nommé Cre…b.on [Crébillon], que nous avions toujours méprisé, et qu’il espere qu’un travail aussi estimable, joint à quelques âneries qu’il se flatte d’avoir fait par le passé, le rendront recommandable parmi nous, et lui mériteront une place dans notre Académie. Ladite Requête signée A.D.V. [Arouet de Voltaire].

Vû aussi la représentation d’une desdites pièces, la filosofie de Newton mise à notre portée, ces deux superbes Edifices de goût et de gloire [Le Temple du goût et peut-être la pièce de théâtre intitulée Le Temple de la Gloire] bâtis par ses mains, et quelques autres Ouvrages de sa façon qui lui ont attiré de la part des gens de Cour les caresses que l’on fait ordinairement aux Messagers qui ne vont assez vite au Moulin.

Son ardeur à poursuivre en Justice les impertinens qui osent attaquer sa réputation et critiquer l’embonpoint de son individu.

Ses judicieuses et très-ignorantes réflexions sur des vérités reconnues qu’il traite de mensonges.

Enfin mille Boug… d’âneries qu’il a fait, qu’il fait et fera, et qui l’ont rendu, le rendent et le rendront à jamais recommandable.

Désirant le traiter favorablement, et ne pouvant nous refuser à la protection de la Reine de Nav… qui parle en sa faveur.

Nous, de notre certaine ignorance, puissance vuide et subordination inférieure, avons admis, admettons, aggregé et agregeons à notre illustre Compagnie ledit A. de V. et lui avons donné et donnons, octroyé et octroyons la place de notre Conseiller-Traducteur ordinaire et extraordinaire des Auteurs anciens et modernes à l’usage de nous et des nôtres.

Enjoignons à tous les Boug… d’ânes du Royaume nos Sujets et Confreres, associés externes et internes de le regarder comme l’un des membres de notre Conseil et Académie.

Leur commandons expressément de se tenir à la porte des Spectacles, six heures avant l’ouverture, les jours qu’ils sçauront qu’on doit représenter ses Ouvrages, s’emparer de toutes les places et particuliérement du parterre, y donner le ton, applaudir à toute outrance, comme s’ils étaient payés, et ce sans être tenus d’apporter d’autres raisons, sinon que c’est du V.

Enfin, de le soutenir en toute occasion en dépit des sifflets, brouhaha, tintamarre et du bon sens, à la charge par lui de ne se point négliger dans les traductions, rapsodies et corrections nécessaires qu’il nous donnera, et de retravailler au reste comme un bon et loyal Boug… d’âne doit faire, lui promettant avoir le tout pour agréable.

Mandons aux ignorans ayant droit dans nos Justices et à tous nos autres Officiers, Associés, Amis, etc. qu’ils ayent à faire observer ces presentes, et jouir ledit A. de V. du privilege et bénéfice d’icelles, nonobstant clameur de Baudet, Chartres Arcadiennes, haussements d’épaule et Lettres à ce contraires ; car tel est notre amusement. Donné à Montmartre, l’an de notre régne l’innombrable,

G. B. J. M. D. 

 

PAR MONSEIGNEUR.

 
           Marque du Secretaire.
 



FIN



 
    
 
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