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Les Collectionneurs, par le
comte Horace de Viel-Castel (1802-1864)
parut pour la première fois en 1841 dans Les
Français peints par eux-mêmes, cinq
pages de texte. Les illustrations étaient
dessinées par Gavarni, gravées par Jacques
Adrien Lavieille (suicidé en 1862). Voici la
fin du texte : « Considérant que,
depuis quelques années surtout, la France
monumentale et artistique est de tous côtés,
et pour le bon plaisir des collectionneurs
et de leurs collections, dépecée par
morceaux :
ARTICLE UNIQUE.
« Tout
collectionneur est soumis à perpétuité à la
surveillance de la haute police. »
Aujourd’hui, un lecteur de Viel-Castel
pourrait se poser la question :
Viel-Castel n’est-il pas, ici,
ironique ? Il ne demanderait pas la
surveillance de la police car lui-même étant
collectionneur, il serait victime de cette
police et se moquerait de cette haute
police ? Quel genre
de personnage était donc Viel-Castel ?
Il avait écrit sous son nom des ouvrages
tombés dans l’oubli, ainsi Oméga
(Techener, 1834), petit in-4° de 39 pages
illustré de deux lithographies dans le
texte, Marie-Antoinette
et la Révolution française (1859). Il
connaîtra
— si l’on peut dire — une sorte de
gloire posthume, à vrai dire minimale, lors
la parution en 2005 de Mémoires
sur le règne de Napoléon III
1851-1864 publiés d’après le manuscrit
original (Robert Laffont, collection
Bouquins).
Viel-Castel était collectionneur, mais
de quoi ? moins de livres que d'objets
d'art, ceux qui appartenaient à « la
France monumentale et artistique ».
Il a publié, par exemple, Collection
des costumes, armes et meubles depuis
le commencement du Ve siècle
jusqu’à
nos jours, dédié à Charles X
(Canson et Cie, sans date),
quatre volumes illustrés, grand in-quarto.
Le bibliophile Jacob (Paul Lacroix) citera
l’ouvrage page 504, dans la bibliographie de
son Recueil
curieux de pièces originales […] sur le
costume et les révolutions de la mode en
France […] (Paris, Administration de
Librairie). Dans sa vie professionnelle,
Viel-Castel appartenait
au monde de l’art en tant que conservateur
du Musée des Souverains, ce qu’il fut du 1er
décembre 1852 — la veille du coup d’État de
Louis-Napoléon Bonaparte, devenu
Napoléon III — au 12 mars 1863, date de
sa propre révocation. Dans le registre de la
vie sociale et mondaine il fréquentait le
salon de la princesse Mathilde, puis il est
entré dans le monde littéraire contemporain
avec une publication posthume parue en 1888)
Mémoires
sur
le règne de Napoléon III 1851-1864,
republiée
en 2005 (Robert Laffont), présentée et
annotée par Éric Anceau et donnant la
version originale de 1888.
Petite parenthèse. Les Mémoires sur le
règne de Napoléon III ne témoignent
guère d'un jugement littéraire
assuré. Page 39 : « Depuis la
révolution de 1848, je n’ai pu me décider à
revoir Lamartine. Cet homme m’inspire un
profond dégoût ; ce n’est qu’un
composé, non pas même d’ambitions, mais de
vanités puériles, pour la satisfaction des
quelles il sacrifiera tout. » Page 116,
il démolit Victor Hugo : « Ce
poète ampoulé, dont l’avenir fera justice,
croit l’univers attentif à sa seule
personnalité. C’est un homme qui commettrait
une méchante action, comme il commet de
méchants vers, pour attirer l’attention
publique. » Viel-Castel hait les libres
penseurs, tel Eugène Sue qui avait refusé
par avance la présence d’un prêtre avant sa
mort. Commentaire de Viel-Castel :
« Les habitants d’Annecy conserveront
un souvenir édifiant de la mort du
socialiste débauché qui a vécu et qui est
mort comme un chien ». En revanche, il
aimait Musset, par lui fréquenté dans le
salon de la princesse Mathilde,
« Alfred de Musset, notre poète, notre
poète le plus original et le plus vraiment
poète » (Mémoires sur le règne de Napoléon III,
2005, p. 556).
Viel Castel apparaît en homme déphasé,
refusant toute adhésion de cœur à son
époque : « Nous avons aujourd’hui
les vices de la Régence exercés sous le
patronage du gouvernement par des laquais.
Les Richelieu d’à présent sont dépravés,
sans être élégants, sans bonnes façons, sans
esprit ; on a fait monter l’antichambre
dans le salon. » (Mémoires…,
page
44, 18 février 1851). Le 16 mai 1851, page
101, il s’attaque à la presse :
« La France est pleine de badauds qui
croient aux journaux. On fait sonner bien
haut la liberté de la presse, qu’est-ce
après tout ? L’État abandonné à des
marchands d’orviétan, des faiseurs de
parades, qui colèrent ou réjouissent la
foule suivant leurs caprices ». Page
107, on lit, daté du 23 juin 1851 :
« Véron, c’est le siècle présent :
cynique scrofuleux et sans vergogne, bouffi
et important. Véron [Louis V., journaliste
et homme politique, 1798-1867] communique
ses écrouelles à tout le monde. ». Page
1008, on lit, le 18 juillet 1863 :
« la populace des villes, criarde et
révolutionnaire voudrait un conflit général
parce qu’elle en espérerait un
bouleversement d’où sortirait une nouvelle
république ! ». Page 112, le 16
juillet 1851 :
« Les rouges sont des scélérats. Les
blancs, à quelque parti qu’ils appartiennent
sont des imbéciles. Il y a aussi des niais
profonds. Faites
donc une grande nation avec tout
cela. »
S’agissant des collectionneurs, Viel-Castel
se montre catégorique dans la contribution
parue dans Les
Français peints par eux-mêmes : «
Tout collectionneur rentre
nécessairement dans une des trois classes
que je viens d’indiquer : le
collectionneur fou, le collectionnaire
brocanteur, et le collectionneur par
mode. » Parmi les collectionneurs fous,
il compte le collectionneur d’autographes,
décrivant ainsi l’un d’eux :
« depuis six mois il est atteint d’une
affection mortelle, dix lignes de l’écriture
de Molière lui ont échappées […] ses jours
s’éteignent, il ne voit plus, n’entend plus,
[…] sa collection d’autographes était
réputée la plus belle de toutes les
collections connues, maintenant elle n’est
plus qu’en seconde ligne ». Si l’on se
place au point de vue de l’histoire
littéraire, on rappelle que les
collectionneurs ont intéressé Edmond
Bonnaffé (1825-1003) auteur de Les
Collectionneurs de l’ancienne Rome et de
l’ancienne France, notes
d’un amateur qui sera publié par les
éditions Plein Chant au printemps 2023.
Cette abondance de publications sur les
collectionneurs nous incite à préciser le
sens de ce mot plurivalent.
Le sens général du mot collection
est « une réunion d’objets »,
mais quels objets ? Et dans quel
but ? Le
Petit Robert de la langue française
(2019) donne pour le verbe collectionner
des exemples variés : collectionner des
objets d’art, des bibelots, collectionner
les timbres, les boîtes d’allumettes. Pour
le substantif collectionneur :
Collectionneur de livres (bibliophile), de
médailles (numismate), de timbres (le
philatéliste) et cet équivalent :
« les grands collectionneurs : les
collectionneurs d’art ». Sur quoi
repose le désir, ou mieux, la passion de
collectionner ? Peut-être sur deux
sentiments contradictoires : un désir
inconscient d’infini, un infini quantitatif
incarné par le nombre le plus grand possible
des objets collectionnés –– et son
contraire, le désir d’une seule chose,
unique, celle qui sert de thème,
d’obsession, d’idée fixe. Ajoutons que les
éditeurs se sont appropriés le mot
collection en un tout autre sens,
appartenant au champ du genre littéraire et
à la technique du classement. Les éditions
Bossard avaient une « Collection des
chefs-d’œuvre méconnus » qui donnait
entre autres à lire, en 1922, Deux
dialogues à l’imitation des Anciens,
par François de La Mothe Le Vayer
(1588-1672). Edmond Thomas, l’éditeur de
Plein Chant (Bassac, Charente) a choisi pour
ses livres relevant de La Petite Librairie
du XIXe siècle
les noms de collection suivants :
Bibliothèque facétieuse, libertine et
merveilleuse, Xylographies oubliées, Gens
singuliers, Anciennetés. Ainsi va la vie
littéraire…
Note
en 2022. L'image du
collectionneur-type a été ici déplacée. Dans Les
Français par eux-mêmes, elle est tantôt
hors du texte, toute seule, et tantôt dans le
texte.
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