PLEIN CHANT

AJOUTS

19 août 2018

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Louis Nazzi évoqué par Jean-Richard Bloch


 

Jean-Richard Bloch avait, dans sa revue L’Effort libre du mois de décembre 1913, consacré un article à Louis Nazzi qui venait de mourir le 20 novembre 1913. Cet article fut  recueilli en 1920 dans J.-R. Bloch, Carnaval est mort, sous-titré Premiers essais pour mieux comprendre mon temps (Éditions de la Nouvelle Revue Française), où on peut le lire page 206 et suivantes. En voici quelques passages.

Il habitait alors Sannois, où on l'avait envoyé guérir son asthme, — et peut-être pis encore. Il ne mettait pas  sa guérison en doute, parlait d'un scénario de drame moderne qu'il destinait aux représentations inédites de l’Odéon, et de la fin de Gégène et Nini, ce joli roman dont le début avait paru en feuilleton à Comœdia. Il donnait à l'œuvre achevée un titre provocant ; il l'appelait les Poils ; il y racontait tous les troublants mystères de la puberté, telle que Paris, les hasards d'une maison ouvrière et de l'école publique la laissent s'éveiller. Il comptait qu'un été au bord des lacs italiens, dans le pays de son père je crois, aurait achevé de rétablir sa santé. L'avenir lui appartenait.

C'est ce jour-là que je pus connaître et goûter à mon aise l’extraordinaire mélange dont était faite son apparence. Il y rentrait la beauté de l'adolescent italien et l'éveil scintillant du gavroche de Paris.

La finesse des traits, la rare perfection de la bouche et des yeux, l'ambre délicat du teint étaient du monello. L'expression imprévue, ardente, satirique, la fragilité délicate des mains appartenaient au gamin parisien.

Déjà sa voix, atteinte par le mal, ne formait plus qu'un murmure assourdi. Mais la fébrilité du geste et du regard y mettait les intonations les plus éclatantes. Je me rappelle ses joues gonflées d'indignation ou de passion, et ses mains tremblantes qu'il levait, paumes en l'air, comme pour dégager sa poitrine du poids qui l'étouffait.

Il avait une fière solitude d'âme. Sa confiance était exquise et fraternelle ; mais elle n'abolissait jamais des réserves et des silences dont nous avons aujourd'hui l'explication.

[…]

Il a refusé des offres brillantes et des offres charmantes, quelquefois les deux choses réunies en un seul geste d'ami. Il restait fidèle au directeur qui d'abord l'avait accueilli. Puis ce scrupule d’indépendance, qui semblait le harceler d’autant plus âprement qu’il sentait ses jours plus chichement comptés, le détournait de tout ce qui aurait ressemblé à l'embrigadement dans un cénacle.

Au fond, le journal le tentait plus que la revue (et je pense aux plus grandes) ; il trouvait dans la neutralité du papier quotidien la même garantie d'impartialité que le boulevard donne au promeneur.

[…]

C’est dans son logis de la rue Meynadier, derrière les Buttes-Chaumont, que ses amis l’ont vu pour la dernière fois. […] Et c’est là que, tout l’hiver, nous avons eu le spectacle de sa lutte contre la mort.


Jean-Richard Bloch ajoute une lettre, à lui envoyée par Louis Nazzi le 18 août, peu de temps avant sa mort à Pons, près de Pau, le 20 novembre 1913 — il était né le 31 janvier 1884. Ajoutons que Jean-Richard Bloch distrait (ou le typographe de service), avait écrit dans l'article de l'Effort libre  1912, pour 1913.

   
   
Mon cher ami,
La cause de mon silence obstiné, c'est un grand découragement, une lassitude de tout l'être devant un mal injuste, qui l'accable et suspend toutes ses volontés. J'ai dix jours de santé sur un mois : les vingt autres jours, je les passe dans l'angoisse, à tousser et à étouffer. A chaque crise, je dois demander le secours de la morphine, qui me laisse toute une semaine sous sa détestable influence. Voilà ma vie !
Je quitte Paris. Les médecins me conseillent de passer l'hiver dans une bourgade des Pyrénées, non loin de Biarritz. Je pars sans confiance. Je sais déjà la tristesse des voyages inutiles et des retours désolés.
S’il me vient, là-bas, un peu de santé, je vous enverrai, je vous le promets, — des études pour l’Effort libre. Je ne compte que sur le travail et les livres pour me délivrer des idées sombres et hostiles qu'engendre une trop longue solitude.
Bien amicalement vôtre,
Louis NAZZI.

Note : On peut lire le texte intégral de Jean-Richard Bloch dans les Cahiers Henry Poulaille, n° 8-9 (2000), pp. 289-292.

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