Il
habitait alors Sannois, où on l'avait
envoyé guérir son asthme, — et peut-être pis
encore. Il ne mettait pas sa
guérison en doute, parlait d'un scénario
de drame moderne qu'il destinait aux
représentations inédites de l’Odéon, et
de la fin de Gégène et Nini, ce joli
roman dont le début avait paru en
feuilleton à Comœdia. Il
donnait à
l'œuvre achevée un titre
provocant ; il l'appelait
les Poils ; il
y racontait
tous les troublants mystères de la
puberté, telle que Paris, les hasards
d'une maison ouvrière et de l'école
publique la laissent s'éveiller. Il
comptait qu'un été au bord des lacs
italiens, dans le pays de son père je
crois, aurait achevé de rétablir sa
santé. L'avenir lui appartenait.
C'est
ce jour-là que je pus connaître et
goûter à
mon aise l’extraordinaire mélange
dont était faite son apparence. Il y
rentrait la beauté de l'adolescent
italien et l'éveil scintillant du
gavroche de Paris.
La finesse
des
traits, la rare perfection de la bouche
et des yeux, l'ambre délicat du teint
étaient du monello. L'expression
imprévue,
ardente, satirique, la fragilité
délicate des mains appartenaient au
gamin parisien.
Déjà
sa voix, atteinte par le mal, ne formait
plus qu'un murmure assourdi. Mais la
fébrilité du geste et du regard y
mettait les intonations les plus
éclatantes. Je me rappelle
ses
joues gonflées d'indignation ou de
passion, et ses mains tremblantes qu'il
levait, paumes en l'air, comme pour
dégager sa poitrine du poids qui
l'étouffait.
Il
avait une fière solitude d'âme. Sa
confiance
était exquise et
fraternelle ; mais elle
n'abolissait jamais des réserves et des
silences dont nous avons aujourd'hui
l'explication.
[…]
Il
a refusé des offres brillantes et des
offres charmantes, quelquefois les deux
choses réunies en un seul geste d'ami.
Il restait fidèle au directeur qui
d'abord l'avait accueilli. Puis
ce scrupule d’indépendance, qui semblait
le harceler d’autant plus âprement qu’il
sentait ses jours plus chichement
comptés, le détournait de tout ce qui
aurait ressemblé à l'embrigadement dans
un cénacle.
Au
fond, le journal le tentait plus que la
revue (et je pense aux plus
grandes) ; il trouvait dans la
neutralité du papier quotidien la même
garantie d'impartialité que le boulevard
donne au promeneur.
[…]
C’est
dans son logis de la rue Meynadier,
derrière les Buttes-Chaumont, que ses
amis l’ont vu pour la dernière fois. […]
Et c’est là que, tout l’hiver, nous
avons eu le spectacle de sa lutte contre
la mort.
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