PLEIN CHANT

A J O U T S

Août 2019




    

Un livre déroutant, l’Histoire du roi de Bohême et ses sept châteaux
par Charles Nodier




    



L'exactitude est bien difficile à obtenir
en tout ce qui concerne Charles Nodier.
Sainte-Beuve, Portraits littéraires, tome I.

Je suis assez tenté […] de faire à Nodier
compliment d'avoir été le plus merveilleux
inventeur du romantisme français…
A. Pieyre de Mandiargues, Troisième Belvédère.



Didier Barrière a donné, dans Nodier l’homme du livre (Bassac, éditions Plein Chant, 1989, collection « L’Atelier du XIXe siècle »), pp. 125-187, une analyse érudite, pénétrante et sensible de l’Histoire du roi de Bohême et ses sept châteaux (Delangle, 1830) on la considérera ici comme acquise. L’Histoire du roi de Bohême, d’autre part, fut magnifiquement illustrée par cinquante vignettes gravées sur bois par Lorret d’après Tony Johannot, disposées avec art dans le texte, mais l’on mettra de côté cet aspect du livre, qui mériterait une trop longue étude. Voici donc une lecture faite par quelqu’un en quête de curiosités littéraires et non d’histoire littéraire — et astreint à la brièveté.

Pour les historiens de la littérature, la cause semble être entendue, Nodier n’est pas un grand auteur ayant gagné sa place d’écrivain pour l’éternité, et cependant les études sur Nodier augmentent d’année en année, mais on se heurte à un paradoxe : l’Histoire du roi de Bohême semble laisser perplexes éditeurs et commentateurs, et l’on doit reconnaître qu’une édition annotée du livre serait mal venue, en ce sens qu’elle détruirait l’envoûtement procuré par la seule lecture du texte qui de plus exige à cause de sa typographie raffinée une lecture continue pour le sens, et une vision tout aussi continue par des yeux actifs pour apprécier l’esthétique des pages.

Nodier et trois autres littérateurs

Nodier eut droit à une lecture attentive de Balzac, qui fait exprimer par Nathan, dans La Peau de chagrin, le regret d’avoir dû constater le peu de succès de l’Histoire du roi de Bohême : « que pouvez-vous attendre d’un siècle repu de politique ? dit Nathan. Quel a été le sort du Roi de Bohême et de ses sept châteaux, la plus ravissante conception… », puis il est interrompu par un convive, écho de l’opinion publique : « C’est des phrases tirées au hasard dans un chapeau, véritable écrit pour Charenton » — ce que le public dira plus tard pour Dada, ou les surréalistes en général. Nodier avait publié dans la Revue de Paris (août 1832) un article traitant « De la palingénésie humaine et de la résurrection » auquel Balzac réagit en publiant dans la Revue, le 21 octobre 1832, une Lettre à M. Ch. Nodier sur son article intitulé « De la palingénésie humaine et de la résurrection. Il le félicitait d’avoir eu « par un temps où la littérature courtise les masses », le courage d’écrire pour « quelques fidèles », puis critiquait les idées de Nodier sur l’espace, le temps, la résurrection : « j’ai eu l’orgueilleuse démangeaison, l’outrecuidance de vous critiquer, de vous faire enfourcher mes nuages grisâtres après avoir galopé sur les vôtres, si multicolores, si fluidement éclairés », tant et si bien qu’il qualifie l’article de Nodier de « caprice de fée ». Le 25 novembre, les lecteurs de la Revue de Paris pouvaient lire un article de Balzac au très long titre en forme d’hommage à Nodier : Voyage de Paris à Java, fait suivant la méthode enseignée par M. Ch. Nodier en son « Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux », au chapitre où il est traité par lui des divers moyens de transport en usage chez quelques auteurs anciens et modernes. Les « divers moyens de transport » renvoyaient à l’Introduction de l’Histoire du roi de Bohême, ou Nodier énumérait — en utilisant ses nombreuses lectures ou des connaissances acquises — les moyens de transport susceptibles de l’emmener, par l’imagination bien sûr, en Bohême :

Oui ! quand je n’aurois pour monture que l’âne sophiste et pédant qui argumenta contre Balaam !…
Quand je serois réduit à enfourcher la rosse chatouilleuse qui fit un autre Absalon de F. Jean des Entommeures
[…]
Quand je devrois emprunter (pour y aller) l’essor aventureux de l’hippogriffe, me suspendre comme Montgolfier à une vessie de toile gommée, chassée par le vent, ou me jucher comme Sindbad le marin sur les épaules d’un afrite [génie malfaisant de la mythologie arabe] maudit… J’irai !












Peut-être pourrait-on penser que l’épigraphe de Balzac pour son article, « Je supplie Votre Majesté d’examiner ces arabesques, qui commencent par une tête de femme et finissent en queue de crocodile… (Girodet, à Napoléon) » est, inventée par Balzac car les commentateurs n’en ont pas trouvé l’origine, une parodie, plus gentiment allusive que critique, du style de Nodier.
Barbey d’Aurevilly, en revanche, avait anticipé l’opinion de la postérité sur Nodier, à l’exception d’un point. Dans la Gazette anecdotique… publiée par G. d’Heylli, Paris, Librairie des bibliophiles, n°13, 15 juillet 1889, p. 16, il est signalé que la revue L’Artiste venait de publier des fragments inédits de Barbey d’Aurevilly desquels on extrait ce passage : « Nodier est un esprit fait de nuances fines et pâles. Il est sur le point d'être poète, et il ne l'est pas. Il est sur le point d'être un grand romancier, et il ne l'est pas ; un grand historien, et il ne l'est pas (voir ses Mémoires) ; un grand linguiste, et il ne l'est pas. Il est, enfin, sur le point d'être tout, et il n'est que Charles Nodier, une jolie imagination qui a passé, comme tout passe, quand ce n'est pas le beau absolu ! » L’exception, non prévue par Barbey d’Aurevilly est la place de Nodier en qualité de précurseur du romantisme, ce qui n’est pas rien ! à laquelle on ajoutera un propos d’André Breton dans un catalogue rédigé en février 1922 pour Jacques Doucet, au temps où il était avec Aragon bibliothécaire de ce collectionneur et mécène, donnant la liste des livres à acheter pour ce qui sera la Bibliothèque Jacques Doucet : « L’Histoire du Roi de Bohême et de ses sept châteaux, de Charles Nodier, est un exemple unique de fantaisie typographique alliée à un esprit philosophique voisin de celui même de Dada. »
Huysmans avait-il lu Mademoiselle de Marsan par Charles Nodier ? On y lisait : « Il y avait des moments de prestige où tous les objets prenaient un aspect fantastique et capricieux, comme la décoration d’un spectacle ou les apparitions du sommeil. Les ombres des murailles éloignées se mouvaient, se détachaient, se mêlaient avec des formes étranges et gigantesques, s’embrassaient, se liaient les unes aux autres et tournaient autour de moi, pressées, confuses et hurlantes » (Paris, Petite Bibliothèque Diamant, L. Boulanger, éditeur, s.d. [1894], 1re édition 1832], p. 114). Un écho de cette description de rêves paraît se trouver dans En rade. Le personnage principal, Jacques Marles arrive au château (réel) de Lourps et le soir, cherche à s’endormir en comptant non pas les moutons, mais les dessins du papier de tenture, quand « soudain un phénomène bizarre se produisit : les bâtons verts des treilles ondulèrent […] le mur, devenu liquide, oscilla, mais sans s’épandre ; bientôt il s’exhaussa, creva le papier, devint immense […] Peu à peu, au fond de cette route, un palais surgit […] » (Gallimard, folio, 1993, p. 58).

Nodier expliqué par lui-même

Nodier, dans une lettre à son ami Jean de Bry datée du 19 décembre 1829 (Lettres inédites de Charles Nodier à Jean de Bry, Notes d’un curieux, par le baron de Boyer de Sainte-Suzanne, Monaco, 1878, p. 399), a voulu attribuer à une maladie nerveuse — décrite de manière antimédicale, mais ô combien littéraire ! — la difficulté par lui éprouvée à traduire en textes littéraires les rêveries éveillées auxquelles il s’abandonnait presque inconsciemment :

L’infirmité nerveuse qui me tourmentoit dans ma jeunesse, a fini par se calmer avec l’âge, mais cette habitude prolongée de convulsions « héroïques et sacrées », comme il plaisoit aux historiens d’Hercule de les appeler, n’est jamais sans résultats. Elle a produit en moi une lésion grave du premier organe de la vie, c'est à dire une espèce d'agonie permanente dont le dénouement est « partout et nulle part », comme le héros de je ne sais quel roman poétique de M. d'Arlincourt. Dans ce malheureux « statu quo », on m'a interdit toute espèce de travail qui pourroit exciter en moi « la vie d'émotions », et donner lieu à des ébranlemens trop fatigans ; mais, comme je ne puis vivre sans travailler, et « vivre » s'entend ici dans toutes les acceptions du mot, on m'a autorisé à faire « ce qui m'amuseroit », c'est à dire « des riens », genre d'occupation pour lequel j'ai eu de tout temps une singulière aptitude. Par malheur, je ne me suis pas avisé d'abord des histoires fantastiques et des contes de fées qui font maintenant mes délices, et je me suis jeté dans un de ces plans à bâtons rompus, où il n'est pas permis d'être médiocre. Aujourd'hui que le livre [l’Histoire du roi de Bohême] est fait, et qui pis est imprimé, je sens à merveille qu'il est aussi mauvais que possible. C’est une suite de rêveries, « aegri somnia, » [les songes d’un malade, Horace, Art poétique, vers 7, une expression passée dans le langage courant français] au milieu desquelles je m'égare en trois personnes, c'est à dire, sous les trois figures principales que tous les hommes cultivés peuvent distinguer dans le phénomène de leur intelligence, l'imagination, la mémoire et le jugement.























L’explication physiologique est rendue publique dans la « Préface nouvelle » de Smarra ou les démons de la nuit : « À force de m’étonner que la moitié, et la plus forte moitié sans doute des imaginations de l’esprit, ne fussent jamais devenues le sujet d’une fable idéale si propre à la poésie, je pensai à l’essayer pour moi seul, car je n’aspirois guère à jamais occuper les autres de mes livres et de mes préfaces, dont ils ne s’occupent pas beaucoup. Un accident assez vulgaire d’organisation qui m’a livré toute ma vie à ces féeries du sommeil, cent fois plus lucides pour moi que mes amours, mes intérêts et mes ambitions, m’entraînoit vers ce sujet. (Smarra ou les démons de la nuit, dans Œuvres de Charles Nodier, Librairie d’Eugène Renduel t. III, 1832, p. 13). Ajoutons que le mot smarra, présent dans la plupart des dialectes slaves, se traduit en français par cauchemar.

Structure de l'Histoire du roi de Bohême

Dans sa lettre à Jean de Bry citée, Nodier met l’accent sur l’originalité du livre, différent de ceux, en genres divers, déjà publiés. Il a déjà publié, en 1801 une Bibliographie entomologique ([VIII]-64 p. in-12), en 1802 Stella ou les proscrits et sous l’anonymat La Napoléone une ode contre Napoléon alors premier consul, en 1803 Le Dernier Chapitre de mon roman, sans nom d’auteur, et deux ouvrages sous son nom, Le Peintre de Salzbourg, suivi de Les Méditations du cloître. Les Essais d’un jeune barde paraissent en 1804, puis en 1806 Les Tristes, ou Mélanges tirés des tablettes d’un suicidé, en 1808 un Dictionnaire des onomatopées, en 1812 Museum entomologicum et sous l’anonymat, Questions de littérature légale, Du Plagiat. De la supposition d'auteurs, des supercheries qui ont rapport aux livres, en 1818 Jean Sbogar, en 1819 Thérèse Aubert, en 1820 Adèle, en 1821 Smarra, ou les Démons de la Nuit, songes romantiques, traduits de l’esclavon du comte Maxime Odin (une presque anagramme de Nodier), en 1822 Trilby, ou le Lutin d’Argail et Essai sur la philosophie des langues, en 1827 Poésies diverses de Ch. Nodier recueillies et publiées par N. Delangle, en 1828 Examen critique des dictionnaires de la langue française, en 1829 Mélanges tirés d’une petite bibliothèque, ou Variétés littéraires et philosophiques, en 1830 l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux.

On rappelle une phrase de la lettre de décembre 1829, « je me suis jeté dans un de ces plans à bâtons rompus où il n’est pas permis d’être médiocre ». Nodier nous donnerait-il une clé pour mieux comprendre l’Histoire du roi de Bohême ? Un plan est l’amorce de ce qui sera un texte ordonné, une fois passé par le dernier stade, celui de l’écriture. L’idée de plan, on la trouve incarnée dans la suite des cinquante-huit (sic) chapitres, tous de trois à quatre pages, portant tous en titre un substantif abstrait se terminant en –tion, tous imprimés en capitales gothiques : INTRODUCTION, RÉTRACTATION, CONVENTION, DÉMONSTRATION […] INTERPRÉTATION, SOLUTION. Cette liste de la table des matières qui ne s’appelle pas Table des matières, mais RÉCAPITULATION est suivie d’une facétieuse « Note de l’imprimeur » en très petits caractères : « Nous avons soigneusement noté le chiffre de pagination des chapitres, leur enchaînement logique étant de grande importance pour l’intelligence du livre. » La « RÉCAPITULATION » est suivie de « CORRECTION », un mot auquel ensuite Nodier donne le sens d’erratum, qui renvoie en apparence à l’Errata ajouté à bien des livres mais est une liste de notes explicatives qui n’avaient pas leur place, au point de vue typographique dans le corps du texte, et pour cause ! L’erratum en question mérite en effet d’être un singulier grammatical (erratum au lieu de errata) car ses neuf paragraphes sont tous consacrés à la pantoufle, héroïne — ou personnage ? — du chapitre EXPLICATION et symbole des organes sexuels et attributs féminins, seins, fesses, vagin :

C’étoit une pantoufle bien conditionnée, une pantoufle qui n’étoit ni trop large ni trop étroite, une pantoufle solide, une pantoufle élastique, une pantoufle moelleuse, une pantoufle confortable, une pantoufle essentielle ; […]




Après « CORRECTION », voici « APPROBATION, » en caractères penchés à gauche, parodie ou pastiche du Privilège du roi d’autrefois, signé Raminagrobis, un nom emprunté à Rabelais, et certifiant « que ledit ouvrage [l’Histoire du roi de Bohême] n’est ni impie, ni obscène, ni séditieux, ni satirique, et qu’il est par conséquent très médiocrement plaisant ». Nodier avait écrit dans sa lettre à Jean de Bry sur l’Histoire du roi de Bohême, « vous êtes une des quinze ou vingt personnes […] que je crois capables de lire jusqu’au bout, je ne dis pas sans un mortel ennui, mais sans le secours d’un glossaire, cet énorme fatras polyglotte et polytechnique ». Nodier avait tort de s’inquiéter, le lecteur sourit ou même s’esclaffe en lisant bien des paragraphes. Oui, mais qu’est-ce un plan à bâtons rompus ? L’idée d’un plan est liée à celle d’ordre, à l’exact opposé de celle de « bâtons rompus » qui évoque un désordre spontané. C’est une hypothèse : Nodier aurait écrit ce livre selon un rythme exactement opposé à celui qu’il dit, dans sa lettre à Jean de Bry avoir suivi. Il aurait accumulé dans le désordre des récits de ses propres rêveries diurnes, de ses rêves nocturnes réapparus dans son esprit éveillé par association d’idées, ou résultat d’une mémoire immédiate, d’où le mélange de nocturne et de diurne. À ce mélange désordonné se seraient ajoutées de nombreuses références à des livres anciens lus par Nodier et non simplement parcourus ou cités dans ses catalogues — Mélanges tirés d’une petite bibliothèque ou Variétés littéraires et philosophiques paru en 1829, reproduit en fac-similé par Plein Chant en 2000 peut se lire comme un vrai livre, tout comme Description d'une jolie collection de livres, J. Techener, 1844 — puis il aurait ensuite seulement construit le plan, c’est-à-dire la succession des chapitres, un plan selon sa logique à lui, qui serait plutôt du genre farfelu.

La narration et les personnages

Nodier, pour son Histoire du roi de Bohême s’est inspiré de Vie et Opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, paru pour la première fois dans une traduction française en 1776. Au chapitre XIX du livre VIII, l’oncle Toby demande au capitaine Trim de lui raconter l’histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux, mais Trim d’y parviendra pas, sans cesse interrompu par l’oncle Toby dès qu’il ouvre la bouche. De la même façon, les personnages de l’Histoire du roi de Bohême de Nodier parviendront seulement au dernier chapitre, « SOLUTION », au plus triste des sept châteaux du roi de Bohême, et sans avoir jamais vu les six autres, ni appris quoi que ce soit sur le roi de Bohême, jamais présent dans le livre. Conclusion désabusée, par Victorine : « Ne pourriez-vous nous régaler cette année de quelque historiette plus divertissante que cette longue rapsodie d’aveugles, de momies, d’académiciens, de perruques, de pantoufles, d’épagneuls et de bichons ? » (page 386).
Le mot loufoque apparut en 1873, mais dans le langage argotique, pour désigner une personne ou une chose extravagante, saugrenue, trop tard pour qualifier en son temps l’Histoire du roi de Bohême, mais il aurait bien défini ce livre. Nodier avait trouvé un mot plus conforme à la langue littéraire officielle, l’adjectif excentrique : « J'entends ici par un livre excentrique un livre qui est fait hors de toutes les règles communes de la composition et du style, et dont il est impossible ou très difficile de deviner le but, quand il est arrivé par hasard que l'auteur eût un but en l'écrivant » (Bibliographie des fous. De quelques livres excentriques, premier article, par Ch. Nodier, Paris, Techener, novembre 1835, dans Dissertations philologiques et bibliographiques par Ch. Nodier, et autres, jointes au Bulletin du Bibliophile, redonné dans Histoire littéraire des fous, par Octave Delepierre, réimpression Plein Chant, Bassac, 2015). Au cours de son article, il qualifie les auteurs de livres excentriques de « fous », et voilà d’où vient l’expression « fou littéraire » qui aura la fortune que l’on sait.
On a le sentiment que Nodier, écrivant l’Histoire du roi de Bohême, a voulu pasticher les livres classés excentriques, écrits par des fous (littéraires), tant et si bien qu’il existe une édition parue en 1830 dont la page de titre porte après le titre la mention « Pastiche », et à la place du nom de l’éditeur « Paris. Chez les libraires qui ne vendent pas de nouveautés ». Cette page est reproduite dans l’édition officielle de 1830, après « DÉCLARATION » et avant « CONTINUATION ».
Nodier a encore flirté avec les livres traditionnels en créant trois personnages principaux, mais fort peu traditionnels, et il sortait de la norme littéraire. Pour lui, « l’esprit est tout l’homme, et c’est de ces trois facultés, l’imagination, la mémoire et le jugement, que se compose […] la mystérieuse trinité de notre intelligence, dans des proportions assez irrégulières » (« DÉMONSTRATION », p. 21), aussi a-t-il incarné l’imagination en Théodore, que l’on retrouvera au premier tome de Paris, ou le Livre des Cent-et-Un (Ladvocat, 1831), dans « Le Bibliomane », la mémoire en l’érudit pédant don Pic de Fanferluchio (un nom peut-être emprunté aux Fanfreluches antidotées de Rabelais dans Gargantua et légèrement modifié, faisant aussi penser à Pic de la Mirandole) et le jugement en Berloque.
Nodier avait le sens de l’humour, un humour plutôt anglais qui le poussait à se moquer de lui-même en affectant le plus grand sérieux. Au chapitre « TRANSCRIPTION » il parodie les annonces littéraires des journaux en faisant sa propre critique, mais plus sur le mode propre à Don Pic de Fanferluchio que sur celui de Théodore le bibliomane, censé le représenter, lui, Nodier : « nous conviendrons qu’il n’est pas donné à tout le monde d’étaler, au courant de la plume, tant de cynisme pédantesque et tant de grotesque érudition », puis il ajoute (p. 76) avec une éclatante ironie, faisant parler un représentant de l’opinion publique de la masse des lecteurs :
 

Ce que nous aimerions mieux trouver dans l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux, et ce que les lecteurs y chercheront vainement, ce sont des aperçus fins, la critique du temps, la satire de circonstance, et surtout la gaîté. L'idée d'écrire un livre pareil quand on n'a jamais été remarqué par l'esprit de saillie, qu'on est devenu triste, et qu'on est presque vieux, est une de ces extravagances malencontreuses qui n'ont signalé de tout temps que des esprits disgraciés.







Comment se moquer mieux de la frilosité des lecteurs à la recherche de brefs et légers divertissements littéraires, vite lus, vite oubliés, et de leur haine absolue pour ce qui les dé-route ?



F I N






Note : Les deux illustrations reproduisent des bois gravés d'après des dessins de Tony Johannot, dans l'édition originale.



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