PLEIN CHANT

AJOUTS

  
Décembre 2018





Jules NORIAC, Monsieur Bibi-Coco et Un feuilleton en 1858


   
Aux éditions Plein Chant vient de paraître, à l'occasion du nouvel an, une plaquette à tirage limité, Monsieur Bibi-Coco, 19 pages, format 10,5 x 15 cm, un conte pris dans Les gens de Paris, paru en 1867, chez Michel Lévy frères. Une bonne nouvelle : Monsieur Bibi-Coco sera envoyé gratis à qui aura envie de lire ce conte.



Jules Noriac écrira, dans le même esprit, Le 101me Régiment, un recueil faisant penser à Courteline qui n'a de militaire que les soixante-huit pages du premier texte et d'où l'on a extrait, pris, au chapitre Folioles, "Un  Feuilleton en 1858", tout en abgeant cette parodie de roman-feuilleton.



  

UN FEUILLETON EN 1858

   On s’étonne souvent des variations qui ont lieu en littérature. Chaque genre a son heure ; il est une mode qu’il faut suivre dans les romans comme ailleurs, sous peine de supporter l’indifférence publique ; et, comme personne n’aime à supporter l’indifférence publique, on suit le torrent, dût-il conduire dans un égout, ou, ce qui est plus triste encore, à une absurdité  Hélas ! que j'en ai vu passer des genres de toutes les couleurs, depuis les Écorcheurs jusqu'à Madame Bovary.

Il y a eu le roman terrible, qui faisait bien peur, je vous assure. On n'y voyait que des poignards, des femmes meurtries, des mains sanglantes appliquées sur les murs, des cachots, des chaînes, des cruches et de la paille.
Le roman ruisseau, qu'on lisait avec un flacon de sels sous le nez.
Le roman bascule, dans lequel les personnages en blouse étaient seuls vertueux, où les forçats cachaient leur habit noir sous leur chemise rouge, comme jadis le Curé de Belleville cachait sous sa soutane son habit de colonel.
Il y a eu le roman mousquetaire, qui a encore une queue dans 1es Magazines.
Il y a eu… Mais à quoi bon parler de ce qui n'est plus ? Parlons de ce qui est. Parlons de ce genre qui n’aura jamais de fin, genre gracieux et délicat, plein d'émotions et d'enseignements, de rêveries et d’illusions, aux détails historiques si vrais, aux mœurs si bien étudiées, observées et rendues ; aux caractères si nettement accusés, si merveilleusement dessinés ; genre sans nom, qui apparaît de temps en temps comme un lumineux météore ou comme…

LA FIANCÉE D’ÉRIC

   Éric est un Saxon ; tous les Saxons s'appellent Éric, comme tous les fumistes français se nomment Mozanino.
Que ne puis-je vous raconter l'histoire entière du jeune Éric, le héros décédé du roman-nouvelle, ou plutôt que ne puis-je vous dire tout le roman ! J’y avais bien pensé, mais il est survenu de telles difficultés, que j'ai dû bien malgré moi, renoncer à ce bonheur.
La fiancée d'Éric se nomme Marguerite ; jeune-fille pure et fraîche comme l’eau qui coule de la source du rocher.
Un soir, une bande de soudards veut s'offrir ce rafraîchissement.
Marguerite, éperdue, se réfugie dans le jardin d'Éric.
Éric se précipite pour la défendre, on tue Éric ; donc, il est mort, c'est entendu ; aussi bien il fallait qu'un jour ou l'autre cela lui arrivât.
Éric mort, Marguerite, folle de désespoir, va s'engager sur-le-champ ; oui, monsieur… Cela vous étonne, mais c'est ainsi. Marguerite se fait soldat, vous allez voir pourquoi ; et, quand vous connaîtrez son but, vous verrez qu'elle a bien fait, cette fille, et qu'à sa place, vous eussiez fait de même.

[…]

Si le lecteur veut revenir sur ses pas, nous allons le conduire dans une taverne où nous retrouvons Marguerite.
Marguerite est en train de soûler un soldat qui a huit pieds. — Pauvre jeune fille ! elle a bien du chagrin.
Vous avez deviné sans doute que c'est le colosse, qui se nomme Hermann — pas Léon* ! — qui a tué Éric. Eh bien, vous allez voir.
Lorsque Marguerite a fini de griser Hermann, elle lui fait raconter comment il a exécuté le crime.
Maintenant, je cite le texte :

« — Voyons ! il est temps d'en finir ! dis-moi comment tu l'as tué !

— Rien de plus simple, répond le grenadier, je me suis rué sur lui, et, de la main gauche, je l'ai saisi par les cheveux.
— Je comprends, dit Marguerite en posant sa main moite de sueur sur la tête d'Hermann.
— Et puis je l'ai renversé sur mon genou.
— En le renversant en arrière, comme ceci, n'est-ce pas ? ajouta la jeune fille en joignant par un effort surhumain le geste à la parole.
— Doucement, brigand ! s'écria le grenadier en riant ; doucement, si tu ne veux pas rouvrir la plaie qu'un Cosaque du Don m'a faite au crâne.
— Et, quand une fois tu l'as tenu ainsi ployé sur ton genou ? continua Marguerite.
— Alors, je lui ai posé sur la gorge la pointe de mon sabre.
— Est-ce bien là la place... dis ?
— Et la jeune fille piqua de la pointe du sabre le cou du meurtrier.
— Plus haut, démon ! reprit Hermann en éclatant de rire si franchement, que tout autre que la fiancée d'Éric eût été désarmé par tant de confiance ; mais elle voyait l'omhre du Saxon devant ses yeux, et l'ombre dirigeait son bras, roidissait sa main, exaltait son cœur.
— Et alors ? demanda-t-elle.
— Alors je lui ai tout simplement enfoncé trois fois mon sabre dans la gorge. De profundis ! mais c'était un beau garçon.
— C'est donc ainsi que tu portas le coup ! s'écria Marguerite en plongeant le sabre à trois reprises dans le cou d'Hermann. »

Chère et douce enfant, comme ce pauvre Éric eût été heureux avec toi ! comme il eût été fier de sentir palpiter tremblante ta poitrine de femme sur son cœur d'homme !


[…]

* Jeu de mots sur un personnage connu des contemporains de Jules Noriac,  mais oublié de nos jours,  — peut-être Léon Herrmann (avec deux r), mais il y eut deux Léon Herrmann.

F I N


   



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