ÉDITIONS PLEIN CHANT

(LES AMIS DE PLEIN CHANT)


AJOUTS

Juillet 2020



    
      


Connaissez-vous l’extravagant Monsieur des Yveteaux ?


Le berger, sa Dame et son troupeau imaginaire.

Poète de faible envergure né en 1567, mort en 1649, Nicolas Vauquelin des Yveteaux, fils de Jean Vauquelin de la Fresnaye, auteur lui-même d’un recueil de poésies de plus de quarante mille vers, mérite l’attention pour sa vie pittoresque sinon pour ses œuvres. De lui, Tallemant avait écrit que « ses vers étoient médiocres mais il avoit assez de feu ; sa prose, à tout prendre, valoit mieux : Il sçavoit, et avoit de l’esprit. » (Les Historiettes de Tallemant des Réaux, édition de Monmerqué et Paulin Paris, troisième édition, Paris, J. Techener, 1854,  t. I, page 341). Vigneul-Marville (pseudonyme de Bonaventure d'Argonne) l’a crayonné au premier volume de ses Mélanges d’Histoire et de Littérature (Paris, Cl. Prudhomme, 1725, page 180), une édition revue, corrigée et augmentée « Par M.*** », autrement dit l’abbé Antoine Banier :

Comme il s’imaginoit que la vie champêtre est la plus heureuse de toutes les vies, et qu’il vouloit être heureux, il s’habilloit en Berger, et prenant l’air d’un Pastor Fido (1) avec sa Dame, la houlette à la main, la panetiere au côté, le chapeau de paille doublé de satin couleur de rose sur la tête, il conduisoit paisiblement le long des allées de son Jardin, ses troupeaux imaginaires, leur disoit des chansonnettes, et les gardoit du loup.

Note.
1. Il pastor fido (Le Berger fidèle) désigne la pastorale de Giovanni Battista Guarini, éditée en 1589 ou 1590.

On a reconnu au passage L’Astrée d’Honoré d’Urfé et ses bergers très littéraires, portant houlette — un bâton servant à ramasser des pierres ou des mottes de terre à jeter aux chèvres égarées pour les ramener au troupeau — et panetière, un petit sac dans lequel les bergers mettaient leur pain de la journée. Sur la couverture de l'édition de Lyon, ci-dessous, on reconnaît à gauche Céladon, à droite Astrée.



 Dans l’Avant-dire « L’autheur à la bergère Astrée » de L’Astrée de messire Honoré Durfé (Paris, Toussaint du Bray, Première partie, 1615) Honoré d’Urfé décrivait ce qui deviendra pour Vauquelin des Yveteaux un modèle à imiter. Ses bergers et bergères ne sont pas, dit-il, habillés comme « les gens de village », mais comme ils le sont sur une scène de théâtre, s’ils ont une houlette à la main elle est peinte et dorée, les juppes des bergères sont de taffetas, « leur pannetiere bien retroussée, et quelques fois faite de toile d’or ou d’argent ». Tels se déguiseront Vauquelin des Yveteaux et sa maîtresse : « ils rencontrèrent un jeune berger couché de tout son long sur l’herbe, et deux bergères auprès de lui ; l’une, lui tenant la tête en son giron, et l’autre, jouant de la harpe […] » (H. d’Urfé, L’Astrée, Folio 1990, édition abrégée et modernisée, p. 57).
Ajoutons que Vauquelin des Yveteaux, dans la vie courante, ne s’habillait pas non plus de manière ordinaire, comme en témoignaient Vigneul-Marville et Tallemant des Réaux :

On disoit autrefois à Paris que M. des Iveteaux, se chaussoit comme les autres se coëffent, et qu’il se coëffoit comme les autres se chaussent ; parce qu’il portoit des souliers de castor et des calotes de maroquin, les calotes de satin alors les seules qui fussent d’usage, celles de cuir n’étant devenuës à la mode que depuis. (Vigneul-Marville, Mélanges d’Histoire et de Littérature, ouvrage cité, p. 178).

A son ordinaire, il s'habilloit fort bizarrement. Mme de Rambouillet dit que la premiere fois qu'elle le vit, il avoit des chausses à bandes, comme celles des Suisses du Roy, rattachées avec des brides ; des manches de satin de la Chine, un pourpoint et un chapeau de peaux de senteur (1) et une chaisne de paille à son cou. Mais quelquefois, selon les visions qui luy prenoient, tantost il estoit vestu en satyre, tantost en berger, tantost en dieu, et obligeoit sa nymphe (2) à s'habiller comme luy. Il representoit quelquefois Apollon, qui court après Dafné, et quelquefois Pan et Syringue. (Les Historiettes de Tallemant des Réaux, édition de Monmerqué et Paulin Paris, 3e édition, Paris, J. Techener, 1854, t. I, p. 342).

Notes.
1.
La peau de senteur était un genre de peau parfumée qui servait surtout à faire des gants, des bottines fourrées. Les petits-maîtres au temps de Molière avaient des pourpoints — un vêtement allant du cou à la ceinture — de peau de senteur.
2. Nymphe, pour désigner une jeune fille séduisante, équivalent de naïade, est un mot venu de L’Astrée. La nymphe de Vauquelin des Yveteaux, dans la mesure où elle s’inspirait de L’Astrée, devait avoir « le sein découvert, et les manches de la robe retroussées jusque sur le coude, d’où sortait un linomple [une pièce de lin] délié qui froncé, venait finir auprès de la main [etc.] » (H. d’Urfé, L’Astrée , Folio 1990, p. 44).


Notre berger d'occasion obligeait sa maîtresse à se déguiser en Daphné, une déesse grecque, et la pourchassait, lui-même déguisé en Apollon et  jouant le rôle de Pan amoureux, et elle en Syringue. Syringue, plus exactement Syrinx, était une nymphe dont s’éprit le dieu Pan mais qui pour ne pas subir ses élans amoureux fut transformée par les autres nymphes en un buisson de roseaux.
Vauquelin des Yveteaux se trouve dans le Chevræana consacré à Urbain Chevreau (1613-1701), page 290 de l’édition de 1697, où on le voit en compagnie de Mademoiselle du Puy (M.D.P.), sa nymphe
, joueuse de harpe dans les cabarets pour accompagner son mari, Adam du Puy, et devenue la maîtresse de Vauquelin des Yveteaux âgé de 61 ans :

par une allée sous terre, ils entroient dans un Jardin qui étoit à lui. Là, ils se donnoient la Comedie, qui consistoit en des Dialogues de trois quarts d’heures ; et recitoient au clair de la Lune des vers de galanterie, où ils s’efforçoient de bien représenter leur Personnage. Ils ne l’avoient pas plutôt achevé, qu’il offroit sa main à la Bergère, pour la reconduire, par la même allée, dans leur chambre, où M.D.P. joüoit sur sa Harpe quelques airs tendres et passionnez ; et aprés cela, s’allaient mettre au lit.

Le baron Pichon, dans son article « Nicolas Vauquelin des Yveteaux » (Bulletin du Bibliophile, publié par J. Techener, n° 15, mars 1846, p. 670) résumait ainsi ce qu’il avait lu çà et là sur le personnage :

Tous les matins la du Puy prenoit ses ordres pour son costume du jour, et, suivant son désir, se coiffoit à la grecque, à la romaine, à l’espagnole, à la françoise ; s’habilloit en reine en déesse, en nymphe ou en bergère. Pour lui, il se travestissoit d’une manière analogue : tantôt il étoit vêtu en berger, tantôt en satyre ou en dieu de la fable. Ainsi affublé, il jouoit avec la du Puy des scènes mythologiques : tantôt c’étoit Apollon poursuivant Daphné, tantôt Pan courant après Syrinx. D’autres fois, la houlette à la main, la pannetière au côté, le chapeau de paille doublé de satin rose sur la tête, il conduisoit paisiblement le long des allées de son jardin ses troupeaux imaginaires, leur disoit des chansonnettes et les gardoit du loup. Son beau jardin servoit de théâtre à ces folies ; il y chantoit avec la du Puy des vers qu’il avoit composés, et elle l’accompagnoit de sa harpe.

Le libre penseur.

On ne disait pas encore « libre penseur » au dix-septième siècle, on se contentait des termes épicurien, ou esprit fort. Tel était Vauquelin des Yveteaux, accusé d’irréligion dans une satire de trois-cents vers imprimée en 1645, Bastons rompus sur le Vieil de la Montagne. On peut la lire dans les Œuvres complètes de Nicolas Vauquelin Seigneur des Yveteaux, par Georges Mongrédien (Paris, Auguste Picard, 1921), page 226. Le Vieux de la Montagne avait au IXe siècle fondé une secte en obtenant tout pouvoir sur les fidèles grâce au haschich (note de Georges Mongrédien dans son édition des Œuvres complètes de Nicolas Vauquelin Seigneur des Yveteaux (Paris, Auguste Picard, 1921), page 221. Aux vers 31-40 de Bastons rompus on lit :

La Bible te semble une farce ;
Par tes discours et tes escrits,
De Dieu tu fais tousjours mespris,
Et n’en connois point que ta garce.
Ton jardin, à ce que tu dis,
Est ton unique Paradis ;
C’est là que tu fais l’idolastre
D’un Mercure, d’une Venus,
Et d’autres marmousets de plastre
Que l’Eglise n’a point conneus.

Les marmousets de plastre renvoient aux statues de dieux païens, Mercure, Vénus, d’autres encore sans doute, élevées dans le jardin de Vauquelin des Yveteaux. Voici les vers 195-200 :

Quand tu ris de ton vieil pasteur
Que tu l’appelles seducteur
Un cagot qui conte des fable ;
Nous en sçavons bien la raison
C’est qu’il vouloit chasser les diables
Qui logent dedans ta maison.

Tallemant des Réaux avait écrit que « on l’a accusé de ne croire que mediocrement en Dieu. Je ne lui ay pourtant jamais ouy dire d’impiétez ; il est vray que je ne l’ay connu que deux ans avant qu’il mourust. » (Les Historiettes de Tallemant des Réaux, édition de Monmerqué et Paulin Paris, 3e édition, Paris, J. Techener, 1854, t. I, p. 342), mais il confirmera indirectement le libertinage d’esprit de Vauquelin des Yveteaux dans une édition postérieure des Historiettes (Paris, J. Techener, 1862, t. I, page 244) :

Un an devant que de mourir, Ninon [Ninon de Lenclos], qui alloit quelquefois jouer du luth chez luy, car il aimoit fort la musique et souvent il faisoit des concerts, Ninon donc luy demanda un jour de feste s'il avoit esté à la messe. « Il y auroit, respondit-il, plus de honte à mon âge de mentir, que de n’avoir point esté à la messe. Je n’y ai point esté aujourd’huy. »

Vigneul-Marville, pour sa part, évoquait lui aussi l’incrédulité de Vauquelin des Yveteaux en rapportant des propos de Saint-Evremont (Charles de Saint-Evremond, 1614-1703) :

Il mourut comme il avoit vécu. M. de Saint-Evremont dit, qu’étant prêt d’expirer, il commanda qu’on lui joüât une sarabande, afin que son ame passât plus doucement, allegramente.
(Vigneul-Marville,
Mélanges d’Histoire et de Littérature
, Paris, Cl. Prudhomme, 1725, t. I, p. 181).

Saint-Evremond avait en effet écrit (Œuvres mêlées de Mr de Saint-Evremont, Paris, Claude Barbin, 1590, lettre à un destinataire inconnu, page 457) que « Monsieur des Yveteaux mourut à quatre-vingts ans, faisant joüer une sarabande, afin, disoit-il, que son ame passât plus doucement », ce qui impliquait l’absence d’un prêtre pour administrer au mourant les derniers sacrements. Il faut cependant reconnaître que si Prosper Blanchemain dans son introduction pour Les Œuvres poétiques de Vauquelin Des-Yveteaux (1854, note, page IX), nie le vœu d’une sarabande qui remplacerait une mort chrétienne, la manière dont il évoque cette mort n’a elle non plus rien de chrétien : « une heure devant que de mourir, il se promena par la chambre et pria la Du-Puy de luy fermer les yeux et la bouche, et de luy mettre un mouchoir sur le visage dès qu’il commenceroit à agoniser, afin qu’on ne vist point les grimaces qu’il feroit. »

 
 



 

      
    



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