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AJOUTS

Mars 2020

 



Les calembours d'Alphonse Karr




A. Karr par Hippolyte Mailly.


L'écrivain Alphonse Karr,
né à Paris le 24 novembre 1808, mort à Saint-Raphaël le 30 septembre 1890, est apparu déjà dans nos Ajouts. Le revoici, mais en calembouriste, réel ou présumé.

Eugène de Mirecourt (Charles Jean-Baptiste Jacquot de son nom, mais ceci est une autre histoire) avait consacré dans sa collection au format in-32 « Portraits et Silhouettes au XIXe siècle » (Paris, Librairie des contemporains, 1869) le numéro 38 à l’écrivain Alphonse Karr, une troisième édition de la petite brochure Alphonse Karr, publiée en 1855 dans la collection « Les Contemporains Hommes de lettres, Publicistes, etc., etc. » (Paris, Gustave Havard).

De son temps, Alphonse Karr jugé homme d’esprit mais ayant eu le tort de trop s’intéresser à la politique de son temps, connut un pic de faveur avec Les Guêpes (Paris, se vend au bureau du Figaro), une revue mensuelle, satirique, littéraire et politique de 96 pages in-32, qui vécut une dizaine d’années, de novembre 1839 au mois de janvier 1849. Suivit une parution en librairie, partiellement en 1853 (V. Lecou, 4 volumes), puis de 1858 à 1859 (Michel Lévy frères, 6 volumes).




(Note). De cette couverture, Alphonse Karr donna une parfaite interprétation.
« Mes pauvres guêpes, — n’est-ce pas qu’il est cruel à moi de vous tirer des corolles parfumées des fleurs — pour vous envoyer ainsi faire votre récolte sur les immondices — de l’égoïsme, des petites ambitions, des trafics honteux de la lâcheté, — du sot orgueil et de la stupidité humaine ? — N’est-ce pas, mes pauvres guêpes ? » (Les Guêpes, Bruxelles, Juin [1842 ?], n° 32).


Retournons aux calembours. Lors d’une visite d’Alphonse Karr à Paris, nous dit Mirecourt (1869, page 45), les murs de Paris et de la banlieue se couvrirent de calembours :

  


Alphonse Karr touche !
Alphonse Karr rogne !
Alphonse Karr casse !
Alphonse Karr rosse !
Alphonse Karr nage !

L’histoire ne s’arrête pas là. Lepoitevin de Saint-Alme, rédacteur en chef du Corsaire-Satan, accusa dans son journal Alphonse Karr d’avoir fait puis inscrit sur les murs ces jeux de mots — point trop raffinés, mais les plus mauvais calembours sont les plus remarquables, dit-on. Des âmes obligeantes signalèrent à Alphonse Karr la dénonciation de Saint-Alme, qui prit la chose du bon côté : « Que voulez-vous ? mon nom prête au calembour. J’en avais déjà fait trois cent dix-huit, avant que pareille idée fût venue à autrui. Ce matin, j’ai commis le trois cent dix-neuvième, Karr avance et raille. » Le lendemain, allant déjeuner à l’Arsenal, chez Charles Nodier, il aurait pris un  morceau de charbon dans la boutique d’un Auvergnat pour inscrire sur un mur « cet affreux jeu de mots : Karr bon a ri. » (Alphonse Karr, 1869, page 47).bbb

Dans Le Trombinoscope par Touchatout (encore un jeu de mots, Touchatout se nommait Léon-Charles Bienvenu), la notice concernant Jean-Alphonse Karr, datée de mai 1882 — Alphonse Karr vivait encore — se montre plus que satirique, franchement hostile et méprisante :

« Pendant toute sa vie, M. Alphonse Karr est resté le marmot adulé, insupportable et vaniteux, qui se croit un personnage parce que ses boutades spirituelles ont fait oublier son impertinence aux admirateurs trop complaisants qui l’entourent. »


Touchatout veut bien reconnaître que dans Les Guêpes Alphonse Karr « fut merveilleux de verve, d’imprévu, et d’originalité d’esprit », mais il ne put lui pardonner de s’être présenté en candidat à la députation en 1848 — Karr échoua (non, il n’y a pas de calembour caché…). Conclusion désabusée de la notice :


« Que demander à ce profond philosophe qui croit avoir dit quelque chose de juste quand il a dit quelque chose de drôle ; qui fait des mots et se figure que ce sont des maximes ; qui se persuade avoir résolu une question quand il a cassé un calembour dessus. »


Quant à Mirecourt, il termine son Alphonse Karr de 1869 par des calembours attribués, dit-il, « à un vigneron de Bourgogne », qui pourrait bien être imaginaire :

 

Puisque tu fais des fleurs et que je fais des vins,
     Karr, accolons
nos noms divins.
Je voudrais, au soleil, lézard dans les corniches
     Karr, tôt
me nicher où tu niches !Le temps pour moi recule ; en mon cœur, pur miroir,
     Karr, en beau l’âge
te fait voir.
J’ai trop marché ; faut-il me reposer ? et leste
     Je jette, Karr à bas ma veste.
Dieux ! que ne suis-je à Nice et sur de verts gradins,
     Comme Karr, hôte des jardins !


Conclusion de Mirecourt : « Et les journaux moqueurs ajoutaient que ce vigneron-poëte connaissait son Karr à fond. »

Notre conclusion : Ne vous préoccupez pas trop des calembours de ou sur Alphonse Karr, d’autant plus que les anecdotes de Mirecourt sont parfois — souvent ? —  inventées ou déformées. Alphonse Karr est aujourd’hui oublié mais si vous jugez cet oubli injuste, lisez quelques unes de ses œuvres, leur énumération mérite d’être examinée, on ne sait jamais… Voici une liste de ses œuvres prise dans Le Livre de bord Souvenirs, portraits, notes au crayon, 4e série, par Alphonse  Karr (Calmann Lévy, 1880) :




Bonne lecture !


 

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