PLEIN CHANT


A J O U T S

Juillet 2019







   
 

    

Le Panthéon et Temple des oracles
par François d'Hervé (1625)

Réimpression Bassac, Plein Chant, 1995


En février 1995 paraissait chez Plein Chant, dans la collection « Bibliothèque facétieuse, libertine et merveilleuse », elle-même appartenant à la Petite Librairie du XIXe siècle, Le Panthéon et Temple des oracles où préside Fortune, dédié au Roy, par François d’Hervé…, nouvelle édition revue sur le manuscrit de l’auteur conservé à la Bibliothèque impériale, une réimpression à deux cents exemplaires sur vergé satiné de Lana, d’un ouvrage paru dans la Bibliothèque elzévirienne (Paris, Pierre Jannet, libraire), en 1858, également imprimé sur vergé. Pierre Jannet avait cherché à mettre à la disposition du public éclairé de son temps des textes drôles écrits jadis, au seizième siècle, ainsi Les Facétieuses Nuits de Straparole (1857, 2 vol.), ou bien dus à des auteurs à cheval sur le seizième siècle et le dix-septième, tels Gaultier Garguille (né vers 1573, mort en 1633), dont il donnera en 1858 les Chansons de Gaultier Garguille, ou encore Tabarin (né vers 1584, mort en 1633), présent en 1858 dans la Bibliothèque elzévirienne grâce aux Œuvres complètes de Tabarin, avec les rencontres, fantaisies et coq-à-l'âne facétieux du baron de Gratelard, et divers opuscules publiés séparément sous le nom ou à propos de Tabarin (2 volumes). Edmond Thomas éditeur et imprimeur à la fois, republiera en 1996, après Le Panthéon et Temple des oracles, les Chansons de Gautier-Garguille, dans la même collection « Bibliothèque facétieuse, libertine et merveilleuse ».

Reculons dans le temps, installons-nous brièvement au dix-septième siècle. François Huby, imprimeur et libraire avait obtenu pour Le Pantheon et Temple des oracles, par François d’Hervé (Jean François Cocq d’Hervé, né vers 1580, de l’ordre des Chevalliers du Saint-Jehan de Hierusalem, Seigneur et Commandeur de Valcanville, mort en 1616) un privilège du roi, daté du 18 septembre 1624 — publié en 1625. Abandonnons maintenant le dix-septième siècle pour le début du vingtième, car  l’année 1624 nous permet de rappeler que trois siècles plus tard, le Manifeste du surréalisme, par André Breton, achevé d’imprimer le 15 octobre 1924, paraissait aux éditions du Sagittaire. Féconde, cette année 1924, pour André Breton offrant aux lecteurs le Manifeste du surréalisme, suivi de Poisson soluble (éditions du Sagittaire), le recueil d’articles parus en revue sous le titre Les Pas perdus (éditions de la Nouvelle Revue française) et, fruit d’une collaboration avec Aragon, Joseph Delteil, Drieu la Rochelle, Éluard, Philippe Soupault, le pamphlet en forme de tract, Un cadavre, traînant dans la boue Anatole France, mort le 12 octobre 1924. Aragon, de son côté, publiait Le Libertinage (éditions de la Nouvelle Revue française), achevé d’imprimer le 31 mars 1924. Le 1er décembre 1924 verra la parution du premier numéro de La Révolution surréaliste, fondée par Aragon, Breton, Pierre Naville et Benjamin Péret, le fidèle ami d’André Breton, Naville et Péret étant directeurs. Deux thèmes centraux : l’écriture automatique, c’est-à-dire non contrôlée par la raison, et les récits de rêve, ce « tyran terrible habillé de miroirs et d’éclairs » (préface du premier numéro). André Breton avait, dans les années 30, fait dresser, ou avait dressé lui-même, les thèmes astrologiques de Jarry, Aragon, Benjamin Péret, Baudelaire, Lautréamont, Huysmans, Max Ernst, Picasso, Éluard et Nusch, René Char, René Crevel, Desnos, autant dire les personnes dont il se sentait proche par l’esprit, des noms connus par nous grâce à Aube, la fille de Breton qui avait hérité des feuilles donnant le schéma des horoscopes — on peut les voir sur Internet. Dans André Breton par lui-même, de Sarane Alexandrian (Écrivains de toujours, Seuil, 1971, p. 156) est reproduit l’horoscope de Breton établi par lui-même.

On abandonne cependant ici André Breton, astrologue, alchimiste littéraire et connaisseur de la véritable alchimie ésotérique, ce dont témoigne Arcane 17, pour lire ou relire Le Panthéon et Temple des oracles où préside Fortune (par fortune, entendre le hasard, une notion à comparer au hasard objectif cher à André Breton).

Une deuxième édition du Pantheon et Temple des oracles parut en 1630, chez Denys Thierry, rue Saint-Jacques, mais l’auteur de la longue et riche préface de 1858 que l’on connaît uniquement par ses initiales, J.M., la jugeant inférieure à celle de 1625, on se range à son avis. Selon J.M. donc, Le Panthéon et Temple des oracles, en principe un ouvrage de divination comme on en trouvait au XIIIe siècle, avait dégénéré au point de passer du statut d’œuvre quasi sacrée transmettant des oracles venus d’ailleurs à celui d’un jeu de société pratiqué à la Cour et dans les « bonnes compagnies » (Avertissement au lecteur, par François d’Hervé, p. xxxiv), interprétation confirmée dans la mesure où le livre, tout dédié qu’il était au roi, le très jeune Louis XIII, avait été écrit pour la « très vertueuse Damoiselle L.D.P.D. DA », comme nous l’apprend un sonnet, page xxxix du Panthéon et Temple des oracles. Emmanuel Louis Nicolas Viollet-le-Duc (1781-1857), auteur d’un très consulté Catalogue des livres composant la bibliothèque poétique de M. Viollet le Duc, avec des notes bibliographiques, biographiques et littéraires… en deux volumes (Paris, Louis Hachette, 1843-1847) n’aimait pas ce livre. Commentant l’édition de 1630, il déclare que sur l’auteur « toutes les biographies gardent un silence mérité », et que les quatrains du livre « sont d’une extrême platitude » (vol. I, n° 1630, p. 434). Le corps du texte du livre, exception faite de onze sonnets placés à la fin du livre, est en effet composé de quatrains, mais pas de n’importe lesquels ! Et au texte s’ajoutent trois dés, mais utilisés de façon peu ordinaire. L’Avertissement au lecteur, par François d’Hervé, explique : le premier dé, un dé ordinaire, montrera l’Oracle, c’est-à-dire la réponse à une question que le joueur pourrait se poser sur ce qu’il doit faire, ou sur ce qui lui arrivera ; le deuxième, numéroté par des chiffres arabes indique la page de l’Oracle où se trouve la réponse et le troisième, numéroté avec des chiffres romains, donne la place du quatrain-réponse.


Ajoutons que les oracles sont différents pour les hommes et les femmes, puisque les questions sont souvent liées au sexe de celui ou celle qui pose une question, aussi les questions des hommes sont-elles rassemblées dans une « Table des demandes pour les hommes », sur les pages de gauche, face au pages de droite, réservées aux femmes.

Exemples : pour avoir, côté homme, la réponse à la question « Si on aura mauvais visage de sa Dame », il faut aller « à l’oracle d’Ægius, fueillet 74, à Phœbus, au nombre que [la roüe de Fortune te donnera] » — ce qui est ici mis entre crochets remplace le « etc. » du texte qui dispense l’auteur de répéter la même expression uniforme. Quant à la roue de la Fortune, la consulter consistait à jeter un dé. Réponse de l’Oracle d’Ægius par le truchement du quatrain Phœbus VI (p. 74) :

Fais ce que tu pourras pour apaiser son ire,
Car ell’est contre toy faschée extremement,
Elle ne te peut voir d’un bon œil nullement ;
Je sçay bien pourquoy c’est, mais je ne l’ose dire.
Une question de femme : en réponse à l’interrogation « Lequel de ses amans elle doit retenir », il lui est conseillé d’aller « à l’oracle de Pythie, fueillet 151, à Penelope, au nombre que [la roüe de Fortune te donnera] ». Réponse de l’Oracle, page 151 :

Celui des champs vous est affectionné,
Vous aymez trop celuy de la ville
;
Choisissez donc des deux le plus utille,
Vous retiendrez le mieux gauderonné.

Ajoutons qu’un godron ou gauderon est « un pli qu’on fait sur des manchettes empesées ou sur des fraises » (Furetière), la fraise étant une « Sorte de collet double et à godrons qu’on portait au XVIe siècle et au commencement du dix-septième » (Littré). Autrement dit, la joueuse doit choisir celui de ses deux amants qui manifeste dans ses vêtements une élégance raffinée parce qu’il lui sera plus utile qu’un homme des champs.

En guise de conclusion, relisons un quatrain signé Cleret (page 223), l’avant-dernier de ceux qui occupent la dernière partie du Panthéon ou Temple des oracles :

Fais ce que tu pourras pour apaiser son ire,
Car ell’est contre toy faschée extremement,
Elle ne te peut voir d’un bon œil nullement ;
Je sçay bien pourquoy c’est, mais je ne l’ose dire.

 








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