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Auguste-Marie
Dondey, né en 1811 et mort,
paralytique, en 1875, n’a
cessé de jouer avec son nom.
Son premier recueil de
poésies, Feu et Flamme
– un titre flamboyant qui
revivifiait une formule
toute faite – parut à demi
par complaisance à la
Librairie orientale de
Dondey-Dupré, propriété de
l’oncle Prosper
Dondey-Dupré et de son
fils ; tous deux
haïssaient le romantisme,
si bien qu’ils tirèrent
l’ouvrage à 300
exemplaires seulement, et
après avoir demandé une
contribution financière à
l’auteur. En 1833, donc,
les contemporains
pouvaient lire, mais peu
en éprouvèrent l’envie, Feu
et Flamme,
par Philothée O’Neddy. Le
prénom Philothée cachait
son inverse, Théophile, un
prénom que s’était choisi
l’auteur pour effacer à
jamais
Auguste-Marie ;
O’Neddy, un nom peut-être
inspiré par celui
d’Ossian, sous lequel
James Mac Pherson
(1736-1796) avait publié
des poèmes, à la mode sous
l'Empire et la
Restauration, était
l’anagramme de Dondey. Le
cycle des anagrammes était
enclenché, suivront une
multiplicité de noms
artificiels, reconstruits,
suivis d’un qualificatif –
des signatures cryptiques
plutôt que des
pseudonymes, que l’on
apprend à connaître grâce
à la publication posthume
des textes, prose ou vers,
d’Auguste-Marie Dondey par
son ami, Ernest Havet, à
qui il avait confié ses
manuscrits, pas toujours
datés, en 1872.
Noms
d’auteur choisis par
Auguste-Marie
Dondey.
Entre
parenthèses, le titre
de l’ouvrage.
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1833. Philothée O’Neddy
(Feu et Flamme).
Entre 1834 et
1846. Le vieux Philothée
O’Neddy, vidame de
Thyannes, ancien auteur de
Feu et Flamme (Mistica Biblion
ou les Carmes de la
seconde et de la troisième
jeunesse du vieux…)
Entre 1838 et
1846. Le Vidame de
Tyannes [sans h]
(premier état, Les
Tablettes amoureuses du
vidame de T…,
rapsodies de Tyannes).
Au deuxième tome de
l’édition des Œuvres
complètes
de Philothée
O’Neddy-Théophile Dondey,
Slatkine reprints, Genève,
1968, reprise de Poésies
posthumes de Philothée
O’Neddy (Théophile Dondey),
Paris, G. Charpentier,
1877, « T… » est
écrit (p. 245) en toutes
lettres. L’anagramme de
Santeny, Tyannes, tombait
bien, puisque Havet put
signaler qu’il fallait
voir dans la signature
cryptique une allusion à
Apollonius de Tyane, un
néopythagoricien grec
(0004? av. J.-C.-0097?),
qui devait plaire à
Auguste-Marie Dondey.
1842. T.
Dondey de Santeny
(Histoire d’un anneau
enchanté, roman
de
chevalerie).
L’initiale du prénom,
Théophile, est seule
inventée ; de Santeny
était un surnom de
famille, porté déjà par le
père d’Auguste-Marie D.,
pour se distinguer de son
frère, Prosper, qui avait
choisi, pour sa part, de
se faire appeler
Dondey-Dupré.
1857. Deux
signatures cryptiques,
presque trois, pour le même
ouvrage resté longtemps
manuscrit, Miranda, ou
les Harpes fées,
poëme dramatique en trois
actes et en vers. Le
premier état de Miranda
était annoncé :
par
le vidame O’Neddy de
Tyannes.
Dondey recopia ce manuscrit,
ajoutant la mention
« Recopié sur le
manuscrit original, en l’an
de disgrâce 1857, par le
Citoyen Dondey, secrétaire
intime du noble Vidame ».
Un quasi troisième nom
fabriqué apparut, car il
ajouta, en 1857, avant le
nom O’Neddy du vidame de
Tyannes : Philotheus
Ottavio Marius –
Philotheus pour Théophile,
Ottavio pour Auguste,
Marius (selon Ernest
Havet, ce serait une
allusion au Marius des Misérables)
pour Marie. Au deuxième tome
des Œuvres complètes
(Slatkine reprints, p.
285), cela donne :
Miranda, ou les Harpes
fées, poëme dramatique en
trois actes et en vers,
par le vidame
Philotheus Octavio [coquille
pour Ottavio, signalée dans
l’errata] Marius O’Neddy
de Tyannes.
En petits caractères et
sous le titre :
« Copié sur le
manuscrit original, en
l’an de disgrâce 1857, par
le citoyen Dondey,
secrétaire intime du noble
vidame ».
Signatures de textes
posthumes non datés
Auguste-Marie
Dondey de Santeny, docteur
Gallican
(Velléités
philosophiques)
l’auteur de
Feu et Flamme
(Les Visions
d’un mort-vivant,
poëme par…)
l’abbé D***
de S***,
ancien journaliste (Addition
aux vieilles rimes dudit
chevalier [Les
Tablettes amoureuses du
vidame de Thyannes].
La Lénore de
Burger mise
en rimes françoises par
l’abbé D*** de S***,
ancien journaliste)
Le vieux
chevalier Gustave de Dony
(un cahier de poésies
détachées, intitulé Les
Vieilles rimes du vieux
chevalier Gustave de
Dony ;
anagramme de : Auguste
Dondey).
La
plupart des amis
jouent le jeu
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Ernest
Havet, lorsqu’il publia une
très riche et instructive
notice sur Dondey l’intitula
Notice sur Philothée
O’Neddy,
gardant le nom et le
prénom sous lesquels
Auguste-Marie Dondey était
connu du public – un
public restreint,
répétons-le, un public
malgré tout.
Nerval,
lorsqu’il publia dans La
Silhouette
(7 janvier 1849)
« Vers
l’Orient », une
introduction au Voyage
d’Orient,
dédia le texte « À
Timothée O’Neddy »,
où Timothée est une
variante de Théophile et
de Philothée ;
l’amour signifié par le
mot grec philos
(celui qui aime), Dieu en
l’occurrence, est remplacé
par l’estime, ou la
considération, signifiée
par timos.
Pourquoi Timothée, si l’on
met à part la ressemblance
pour l’oreille des
prénoms ? Le nom,
devenu plus tard prénom,
était celui du patriarche
de l'Église
assyro-chaldéenne ou
Église apostolique
d'Orient, Timothée, mort
en 823 après J.-C., un nom
tout indiqué pour le
dédicataire de la relation
d’un voyage en Orient.
Puis, dans l’édition
définitive du Voyage
en Orient,
Timothée O’Neddy disparut,
et on lut : « À
un ami ».
Valery
Larbaud, en revanche, que
l’on peut tenir pour un
« ami »
d’Auguste-Marie Dondey dans
la mesure où il admirait ses
productions, présentait
Philothée O'Neddy sous son
nom officiel, mais en lui
gardant le prénom attribué,
Théophile lorsqu'il publia
un article sur lui dans deux
numéros de la Revue de
Paris, repris ensuite
sous forme d'une plaquette
publiée à Tunis en 1935,
intitulée Théophile
Dondey de Santeny (1811-1875), éditée par les Cahiers de Barbarie
dirigés par un poète
vivant en Tunisie,
Armand Guibert,
fondateur malheureux de
la revue Mirages.
Le texte sera repris dans
Ce vice impuni, la
lecture. Domaine français
(Gallimard, 1941, p. 176
et suiv.).
Dondey
pressentait qu’il ne serait
pas reconnu par la
postérité. Dans la préface
en vers du roman L’Histoire
d’un
anneau enchanté, roman de
chevalerie,
il avait écrit
spontanément :
J’ai voulu
j’ai tâché qu’une idéale
flamme
Pénétrât
dans ce conte et lui fît
comme une âme.
Petit
livre, à quoi bon tout
ce bruit et ce
feu ?
Pourquoi
tant marchander ta vie,
ô petit livre ?
Lorsque
je sais, hélas !
que tu vivras si
peu ! |
Cependant,
lorsque le roman parut avec
sa préface, en 1842, sous
forme d’une plaquette de 46
pages (Paris, Boulé et Cie),
Dondey prit soin de
supprimer un long passage
auquel appartenaient ces
vers, preuve qu’il espérait
malgré tout. En donnant ses
manuscrits à Ernest Havet,
il montrait son désir de les
voir paraître en librairie,
après sa mort. Sachant que
les historiens de la
littérature chercheraient
son nom à l’état-civil,
quand il se cita lui-même en
épigraphe, dans la Nuit
Septième,
« Dandysme »,
(« Mon ange, à ton
piano si tu voulais
t’asseoir ?… », Feu
et Flamme,
1833, p. 61), et dans le
Fragment troisième de Mosaïque,
« Fanatisme »
(« À la rage il
adore, / Républicain naïf,
les romaines vertus :
/ Il se donne les airs et
le ton d’un Brutus »,
ibid.,
p. 121) il signa de son
presque vrai nom,
Théophile Dondey, quoique
pour ses contemporains, le
nom dût apparaître ou
comme un pseudonyme, ou
comme le nom d’un inconnu
– ce que fut, en effet,
Dondey de son vivant, mais
il voulait croire qu’il
serait estimé à sa juste
valeur après sa
mort ; cela s’appelle
la gloire, et il croyait à
la Gloire (littéraire).
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