Éditions PLEIN CHANT

APOSTILLES

  1er  avril 2017


Auguste Brepson

Un Gosse
suivi de
La repue franche

Voix d'en bas
Bassac PLEIN CHANT
 2017


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Lectures d'un adolescent, né en 1885 sur la péniche de son père


   

  Nous allons au parc Montsouris jeter des pierres à la truite qui dort au fond de l’eau limpide, sour son lit de graviers ; au Jardin des Plantes, voir le boa derrière son carreau, engourdi dans sa couverture, les singes qui ont des derrières comme des tomates, se chercher les poux et les manger, faire des obscénités ou croquer des noisettes, suspendus par la queue, les crocodiles qui paraissent en tôle repoussée, le vautour qui ferme sa paupière sur une cocarde tricolore, l'hippopotame qui a l'air de suer du sang ; les ours qui se dandinent sur leur derrière d'une façon énervante…
  Nous mettons des cailloux dans la trompe de l'éléphant.
  Nous contemplons les lions ébouriffés et mélancoliques, les hyènes fétides et boiteuses et je fixe dans les yeux la panthère qui baille pour l'hypnotiser, comme dans L'Homme aux yeux d'Acier de Louis Noir, car, à présent, je lis énormément : j'ai déjà dévoré Les Mystères de Paris, La Dame de Montsoreau, Les Trois Mousquetaires, Le Bossu, que m'a prêtés madame Pélissier, notre voisine, la blanchisseuse.
  Nous ne manquons pas d'assister au repas de l'otarie, qui sort toute vernie de l'eau, pour happer au vol, d'une simple inflexion de cou, les harengs qui passent dans l'air comme des lames d'argent. Et pour finir, nous emparant du Labyrinthe jusqu'à la Lanterne, nous en dévalons les allées en poussant des cris aigus et nous nous laissons tomber, essoufflés, sur le banc de pierre, à l'ombre du grand cèdre où rêva l'âme douloureuse de Michelet.

(A. Brepson, Un Gosse, pages 135-136)



L’île des Singes […] devient pour moi l’île des Ravageurs, le petit pont de la Bièvre, celui du château de Caylus, et, quand j'aurai lu les Misérables, je changerai, plus haut, la ruelle des Reculettes en cul-de-sac Genrot, et j'y ferai se profiler à la lueur fumeuse des quinquets la stature colossale de Javert, sur la piste de Jean Valjean… Ou bien, je dirai que, là-bas, sur le solitaire boulevard d'Italie, ce jardin sauvage rempli de merles et de papillons, clos d'une grille aux barreaux tordus, à travers lesquels on aperçoit, au fond, un pavillon délabré, est le jardin de la rue Plumet ; et j'y verrai très bien là, par un soir d'été, dans l'encoignure de la haute porte vermoulue, Éponine tenir en échec Babet, Gueulemer, Claquesous, Thénardier et Montparnasse, pendant que dans le jardin baigné de lune, et sous un ciel constellé, Cosette et Marius s'adorent !
Mais ces personnages imaginaires ne vont plus aussi me suffire : il va me les falloir en chair et en os. Alors j'irai au théâtre.
(A. Brepson, Un Gosse, pages 143-144)


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