Éditions  PLEIN CHANT

Alfred de Musset : Lettres de Dupuis et Cotonet au Directeur de la Revue des Deux-Mondes



Lettres de Dupuis et Cotonet au Directeur de la Revue des Deux-Mondes
Bassac, Éditions Plein Chant, 1994, collection Anciennetés
Pages 11 et 12






Dupuis et Cotonet précurseurs de Bouvard et Pécuchet


   

    Extrait de la première lettre,
La Ferté-sous-Jouarre, 8 septembre 1836.


(…) Je vous disais que nous ne comprenions pas ce que signifiait ce mot de romantisme. Si ce que je vous raconte vous paraît un peu usé et connu au premier abord, il ne faut pas vous effrayer, mais seulement me laisser faire; j'ai l'intention d'en venir à mes fins. C'était donc vers 1824, ou un peu plus tard, je l'ai oubli; on se battait dans le Journal des Débats. Il était question de pittoresque, de grotesque, du paysage introduit dans la poésie, de l'histoire dramatisée, du drame blasonné, de l'art pur, du rythme brisé, du tragique fondu avec le comique, et du moyen âge ressuscité. Mon ami Cotonet et moi, nous nous promenions devant le jeu de boule. Il faut savoir qu'à la Ferté-sous-Jouarre, nous avions alors un grand clerc d'avoué qui venait de Paris, fier et fort impertinent, ne doutant de rien, tranchant sur tout, et qui avait l'air de comprendre tout ce qu'il lisait. Il nous aborda, le journal à la main, en nous demandant ce que nous pensions de toutes ces querelles littéraires. Cotonet est fort à son aise, il a cheval et cabriolet; nous ne sommes plus jeunes ni l'un ni l'autre, et, de mon côté, j'ai quelque poids; ces questions nous révoltèrent, et toute la ville fut pour nous. Mais, à dater de ce jour, on ne parla chez nous que de romantique et de classique; madame Dupuis seule n'a rien voulu entendre; elle dit que c'est jus-vert, ou vert-jus. Nous lûmes tout ce qui paraissait, et nous reçûmes la Muse au cercle. Quelques-uns de nous (je fus du nombre) vinrent à Paris et virent les Vêpres; le sous-préfet acheta la pièce, et, à une quête pour les Grecs, mon fils récita Parthénope et l’Étrangère, septième messénienne. D'une autre part, M. Ducoudray, magistrat distingué, au retour des vacances, rapporta les Méditations parfaitement reliées, qu'il donna à sa femme. Madame Javart en fut choquée; elle déteste les novateurs; ma nièce y allait, nous cessâmes de nous voir. Le receveur fut de notre bord; c'était un esprit caustique et mordant, il travaillait sous main à la Pandore; quatre ans après il fut destitué, leva le masque, et fit un pamphlet qu'imprima le fameux Firmin Didot. […]




Lettres de Dupuis et Cotonet chez  Plein Chant | Accueil