Éditions  PLEIN CHANT
Collection Voix d'en bas


Jean Prugnot : Béton armé

   




Extrait, pages 213-214




Et Pierre Fabre, lui aussi, en a assez de cette boîte ! Ce travail idiot d'abord… Il est ingénieur électricien, il voudrait bien essayer d'exercer son métier… Leurs wagonnets, leurs sacs de ciment… Non ! Trouver autre chose ! Partir… Et ce travail ne durera pas éternellement, et quand ça sera fini… Et puis, il est complice et il voudrait bien ne plus l'être…
Ailleurs, il sera encore complice… Partout, il sera complice. Oui, mais il fera probablement quelque chose d'utile… Des moteurs, par exemple. « Ah ! songe-t-il, des moteurs qui s'en iront sur les chantiers de la S.N.G.T., dans des fonderies de canons ou de plaques blindées, dans des usines de… » Allons, il pourra travailler dans une centrale… « C'est ça, une centrale qui fournit le courant aux chantiers de fortifications ou aux usines de guerre, ou… » Quelle vie ! … À ce point de la conversation qu'il a avec lui-même, Pierre lance un violent coup de pied dans le premier caillou qu'il rencontre… Nom de Dieu ! … Puis une voix connue qui souffle : « Ben, s'il fallait réfléchir tant qu'ça… ».. C'est vrai, il fait l'acrobate avec ses idées, il passe son temps à chercher la petite bête… Plus moyen de vivre, alors !
Ailleurs comme ici, oui, il sera complice.
Il faut être ce complice ou être un vagabond.
— C’est bon, va dans une usine ! Quelle usine ? Aucune usine n’a besoin de lui. Elles n’attendent pas Pierre Fabren ingénieur de vingt-cinq ans, les usines ! Les hommes de cinquante ans prennent la porte : ce n’est pas pour faire de la place aux jeunes comme lui !
Pierre Fabre hait. De toutes ses forces, il hait.



Accueil | Retour à Béton armé