Éditions PLEIN CHANT

Marginalia


C o m m e n t a i r e   des Aventures curieuses

De Galimafrée à Cambacérès



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L'auteur
Le pseudonyme est une allusion aux solitaires de Port-Royal, mais étant donné que le Port-Royal des jansénistes était l'exact opposé du Palais-Royal, lieu de promenade pour les désœuvrés et de chasse au client pour les prostitués des deux sexes, le rapprochement relève de l'ironie. Ce solitaire serait Charles Desrosiers, mais on lui attribue également Le Diable-ermite, ou les mœurs du jour et de la nuit (Ledentu, 1817), qui est dit publié « par le Rédacteur du Petit Conteur de Poche, etc., etc. » Certains ont pensé que ce Diable-ermite était plutôt d'Elisabeth Brossin de Méré (1751-1829), dite encore Madame Guénard, baronne de Méré, à qui l'on a attribué également Le Petit Conteur de poche, dont la BnF ne possède qu'une troisième édition, datée de 1818. À l'un (Charles Desrosiers) ou à l'autre (Elisabeth Guénard, baronne de Méré) est également attribué un livre qui est le symétrique des Aventures de M. Galimafrée : Les Aventures plaisantes de M. Bobèche et son voyage de quarante-huit heures dans l'intérieur de la capitale… publié par le rédacteur du Petit conteur de poche ( Ledentu fils, 1813). On sort du tunnel de l'attribution pour apercevoir quelque clarté (pas sur l'auteur, malheureusement), puisque Galimafrée et Bobèche ont exercé leur talent d'acteurs comiques spécialisés dans les parades sur les tréteaux installés à l'extérieur des théâtres du boulevard du Temple.

Le frontispice

La BnF possède une estampe intitulée Promenade au Palais Royal, (s.l.), (s.n.), (s.d.), une gravure à l'eau-forte, coloriée, de format 6,5x9,5 cm, déposée à l’Imprimerie royale en avril 1814. Elle est ainsi décrite dans le catalogue Opale plus : « Le trio déambule, ne formant qu'un seul corps, bas sur pattes et rond comme une boule : d'Aigrefeuille ventru comme jamais, Cambacérès à la panse débordante, et le maigre Villevielle, dont la chétive personne est complètement éclipsée par celle, trop volumineuse, de ses partenaires. Ils portent leur costume ordinaire, qui fut à la mode en 1785 : perruque à queue et à trois marteaux, tricorne, habit à la française, jabot, culotte courte, bas à baguettes et souliers à boucles ». On reconnaît, dans cette description, le frontispice des Aventures curieuses et plaisantes de M. Galimafrée !

Cambacérès (duc de Parme en 1808) est connu, mais d’Aigrefeuille et Villevielle peut-être moins. On rappelle que Cambacérès devint en 1774 conseiller à la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier ; or, Fulcrand-Jean-Joseph, marquis d'Aigrefeuille, fut Premier Président en cette même Cour des comptes. Fin gastronome (Grimod de La Reynière lui dédia la première année de son Almanach gourmand), il fut choisi par Cambacérès comme officier de bouche, mais sera par lui chassé en 1814 pour avoir été convaincu d’espionnage au profit de Fouché. Philippe Charles François Pavée, marquis de Villevielle (1738-1825), appartint lui aussi à la Cour des Comptes de Montpellier. Cambacérès le fit nommer bibliothécaire à la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris.

Un ouvrage à clefs ?

Au premier plan du frontispice, on reconnaîtrait Cambacérès-Galimafrée, à côté de lui et tout aussi ventru, le marquis d'Aigrefeuille, et enfin Villevielle, maigre et presque effacé bibliothécaire. Les Aventures plaisantes, que l'on voyait, au départ, susceptible d'être appliqué à notre époque dans la mesure où il aurait exposé des manières de faire carrière dans la société qui se reproduiraient en tous les temps (ou presque !), serait un de ces nombreux libelles qui fleurissaient sous la Restauration et il faudrait mettre des noms précis derrière l'homme de lettres, l'homme politique et Galimafrée, le nègre. Il serait, bien sûr, absurde de voir Cambacérès en nègre, mais le jeu ne serait-il pas à plusieurs bandes ? On aurait un petit livre dont le frontispice représente en effet Cambacérès, d'Aigrefeuille et Villevielle représentés en une estampe qui fut diffusée isolée, tandis que le texte renverrait à des personnes sur lesquelles les contemporains pouvaient mettre des noms, certes moins illustres que ceux du trio du frontispice. L'auteur (Charles Desrosiers ou Madame Guénard) aurait joué sur deux tableaux : son frontispice faisait vendre, car on y reconnaissait au moins Cambacérès, et le titre également, puisque tout le monde connaissait l'acteur Galimafrée. Quant à nous, nous vous avons donné l'occasion de dire : Galimafrée, c'est X… ; M. de*** est Y… et M. la**, bien évidemment Z… C'est dépasser l'espoir de l'auteur des Aventures curieuses et plaisantes de M. Galimafrée, comme on pourra le juger en lisant son Avis au lecteur qui, loin de vouloir dresser un caractère à la manière de La Bruyère, désirait produire un pamphlet circonstanciel, contenant la menace d'un pamphlet à venir plus virulent.




(à suivre)