Éditions PLEIN CHANT

Marginalia

Nègre de lecture

par


M i c h e l   O h l


 «

– Et là, dit à ce moment Thomas, c'est la Bibliothèque ?

En effet, dans la pièce voisine, grande, carrée, des amas de livres, de manuscrits, à même le plancher, en vrac, comme déchargés d'un tombereau. Cela forme des montagnes avec leurs précipices, leurs falaises, leur canyons, leurs pics, et une poussière aussi qui vous chatouille le nez.

Sur ces montagnes, assis, des Lecteurs, très maigres, en train de lire tout ça. Environ sept ou huit ?

– Ah, la Bibliothèque ! dit Gonzalo, la Bibliothèque, quel casse-tête ! Une vraie malédiction ! Il s'agit bien là des œuvres les plus précieuses, les plus hautement respectées, émanant des génies les plus rares qu'ait jamais engendrés l'Humanité, d'esprits de toute première grandeur, seulement voilà, mes amis, je n'y peux rien, elles se mordent l'une l'autre, se mordent et se dévaluent du fait de leur profusion, ah il y en a trop, beaucoup trop, et chaque jour il en arrive de nouvelles, et personne ne parvient à les lire… une orgie d'ouvrages, une véritable orgie ! J'ai engagé des Lecteurs et je les paie à prix d'or, car j'ai honte que tous ces livres moisissent là non lus, mais il y en a trop, les Lecteurs n'arrivent pas à tout lire même en s'y appliquant à longueur de journée. Le pire, c'est que les livres se mordent l'un l'autre et qu'ils finiront par s'entredévorer comme des Chiens.

»




L'homme qui écrit à votre place les livres que vous signez vous l'appelez nègre, n'est-ce pas, nègre ou teinturier, mais comment appelez-vous celui qui lit à votre place ?

Michel Ohl.

         

(suite et fin)