Éditions PLEIN CHANT

Marginalia







A-t-on lu
la comtesse de Brancoailles ?











Dans Les Marges du 15 août 1923 (pp. 256-258) on lisait ces vers de la comtesse de Brancoailles :







LECTURES



Non, vous ne le saurez jamais,
Poètes qu'aujourd'hui j'adore
De quel amour, enfant, j'aimais
Jamblique, Erasme et Diodore.


Il n’était sein ni biberon
Qu'à l'instant je n’abandonnasse
Si je voy
ais un Cicéron
Ou un Denys d'Halicarnasse.


Je méprisais balle et cerceau
Et
je délaissais ma poupée,
Pour l’Héloïse
de Rousseau
Et la Satire Ménippée
.

J'ai lu Kant et Locke, j'ai lu
Lycurgue et ses rudes harangues,
Mes précepteurs ayant voulu
Que je susse toutes les langues.


Plus tard, quand l’âpre volupté
Me soumit à son joug suprême,
Si l'Arétin m'était conté
J'y prenais un plaisir extrême.


L'œil haut, la croupe en mouvement,
Phèdre qui la nuit m’hallucine
Jusques aux bras de mon amant
M’exhortait à prendre Racine.


J’ai dû, sous d'autres cieux, jadis,
Être Iphigénie en Tauride
Ou bien marchande de radis
Avec la mère d’Euripide.


Or maintenant c'est bien fini,
Seul mon fier Hugo me f
ascine.
Je ne lis plus Malherbe ni
L'antiquité gréco
-latine.


Chaste héroïne aux yeux cernés
Ma nature a l'horreur d’Ovide,
Et j'ai Polybe dans le nez.
Depuis que je lis André Gide,


Lucrèce ne me dit plus rien,
Mon doux Plutarque me bassine ;
Je dédaigne le bon Arrien
Qui dort là, près de mon Eschine.


Mais je me souviens du passé…
Mon cœur plus frais qu'une pastèque
Ne peut pas se débarrasser
De toute sa bibliothèque.


Parfois, dans un éclair, je vois
Danser Sophocle à Salamanque
Ou bien, sonnant au fond des bois,
Xerxès et sa cohorte franque.


Et je me répète tout bas
Le cri que la rauque phalange
Poussait avec Léonidas
Quand le Mède répondit : Mange.


COMTESSE DE BRANCOAILLES






Sous la signature : Comtesse de Brancoailles (tout le monde, bien sûr, a déjà reconnu le style de la comtesse de Noailles, née princesse Bibesco Bassaraba de Brancovan et peut-être également sa caricature par André Rouveyre, parue dans Carcasses divines, Société du Mercure de France, 1907), le nom du véritable auteur :


Pour copie conforme

GEORGES-ARMAND MASSON


*

Georges-Armand Masson (1892-1977), dont le père (1857-1920) fut chansonnier au Chat Noir (lui-même fut inspecteur des beaux-arts de la Ville de Paris), a donné plusieurs recueils de pastiches, parmi lesquels Georges-Armand Masson ou le Parfait plagiaire (Éditions du Siècle, 1924) obtint en 1925 le Grand Prix de l'Humour. On y trouve un autre pastiche d'Anna de Noailles : «Vague de chaleur (Cantate à deux voix, dont une muette) par Madame de Noailles», suivi de «Variations par quelques poètes sur un thème connu». Le thème en était ces quatre vers, éternellement ressassés de Félix Arvers :

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,
Un amour en un instant conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su…

De ces variations imitant le style de Paul-Jean Toulet, Paul Valéry, Franc-Nohain, Paul Géraldy et Charles Vildrac, on extrait la première, celle de Toulet.


Vivace

Comme le fruit son ver, ma vie
   Cèle un tourment secret.
Bien malin qui devinerait
   Le nom de mon envie.

Toi-même ne le connais point,
   Qui nourris ma pensée,
Et qui plus distraite es passée
   Que le vent sur les coings.

Car ce désir qui me lancine,
   Il cède à ta vertu ;
Et si je t'aime, je l'ai tu,
   Ou si c'est la voisine.
Toulet au Café de Madrid à Guéthary
 (1919)


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