2022  | 
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             Alain Segura 
                Une saison avec Marianne 
            La dernière surréaliste   96 pages, 9 illustrations. 
              « Je demande
                    l'occultation profonde, véritable du
                            surréalisme », écrit André Breton en 1930.
                            Quelque vingt ans plus tard, quand Marianne
                            rejoint le groupe surréaliste, elle a bien
                            compris l'injonction. Elle ne signera
                            aucune de ses toiles, mais elle écrira au
                            bas d’un des plus beaux tracts de Mai 68 :
                            « Une camarade yougoslave qui en sait
                            long. » 
                « Pourquoi irais-je au Tibet, si l’Himalaya n’est pas ici ? » Quand on franchissait la porte de son atelier, commençait en effet l’ascension. Marianne aurait eu sa place sur le voilier du Père Sogol cinglant vers le Mont Analogue. Sa parole était pour ses amis. Ses éclats, sa fureur aussi. Elle ne dispensait aucun enseignement, mais elle écoutait le peintre, l’écrivain, le sculpteur, exaltant leur patience, leur attention. Le plus souvent, tout se terminait dans un grand éclat de rire. En sortant de son atelier, je croyais sentir la bourrasque du grand vent qui avait balayé mes doutes. Dire qu'elle a beaucoup compté pour moi serait une maladresse que je suis pourtant prêt à commettre parce que c'est la vérité. — A.S. Deux illustrations. 
                  
                
                
                  
                  
                  
                  
                  
                  
                  
                  
                  ![]() ![]() Et un deuxième texte par Alain Segura : Marianne
                  Nikolic est née à Budapest le 10 juillet 1919. Un
                  document officiel retrouvé permet de retracer ses
                  origines familiales. Budapest est alors une ville très
                  cosmopolite. Son père est un diplomate, le nom de
                  jeune fille de son épouse est allemand. De sa mère,
                  qui disparut très vite, elle avait conservé l’image
                  d’une femme vive, aimant les toilettes, au tempérament
                  fougueux que Marianne attribuait à des origines
                  tziganes. Elle aimait s’en réclamer et dire qu’elle
                  lui ressemblait. Pendant
                  ses jeunes années elle voyagea seule avec son père.
                  Elle gardait de ce temps-là un souvenir radieux, sans
                  doute enjolivé par la nostalgie. Quand elle eut seize
                  ans, une nouvelle épouse apparut et bientôt un autre
                  enfant. C’en était fini de la vie à deux, des voyages
                  en train et des grands hôtels. Marianne songea dès
                  lors à quitter le foyer, ce qu’elle fit sans se
                  retourner, les poches vides. Elle
                  fit des études de piano et vécut à Belgrade avec un
                  ami musicien qu’elle suivit à Rome en 1941. L’Italie
                  fasciste et l’Allemagne nazie avaient envahi les
                  Balkans. De retour à Belgrade, vers la fin de l’année
                  1943, Marianne s’empressa de rejoindre le combat des
                  Partisans. Après
                  la guerre, elle intègre une troupe de théâtre de
                  marionnettes où elle fait la connaissance d’un poète
                  qui allait devenir son mari, Radovan Ivsic. Parmi de
                  nombreux travaux littéraires, ils traduisent Les Confessions
                  de Jean-Jacques Rousseau. Ils viendront ensemble à
                  Paris au début des années 50. Des contacts noués
                  depuis la Yougoslavie avec les avant-gardes
                  artistiques, les conduisent à partager les activités
                  du groupe surréaliste qu’ils fréquenteront, en ce qui
                  concerne Marianne, jusqu’à la mort d’André Breton. Je
                  connus Marianne à l’automne 67 grâce à des amis
                  anarchistes. Elle vivait séparée de Radovan depuis
                  plusieurs mois. Elle habitait désormais seule leur
                  appartement de la rue Galande. J’étais
                  alors très jeune et je me tenais prudemment à l’écart.
                  Drapée dans un long ciré noir, ses phrases avaient le
                  tranchant d’un rasoir. Il n’était pas bon non plus
                  d’affronter son regard. Ces mêmes amis anarchistes,
                  proches des situationnistes, la présentèrent à Guy
                  Debord. Guy, à l’époque, était souvent entouré de
                  courtisans. Rien de tel avec Marianne qui posait des
                  questions dérangeantes : « Qu’est-ce que
                  c’est ce groupe où il n’y a pas de
                  femmes ? » Elle frappait avec force jusque
                  dans les retranchements où s’abritait la bonne
                  conscience révolutionnaire, trop souvent ouvriériste.
                  « Nous n’avons jamais subi pareille
                  critique », s’étonna Guy qui lui trouva aussitôt
                  un surnom : La dernière
                    surréaliste. C’est
                  à l’automne 68 que je commençai à me rendre rue
                  Galande. Nous étions quelques amis à partager avec
                  elle de longues séances de lecture, souvent
                  quotidiennes, le soir, jusqu’à l’heure du dernier
                  métro. Marianne
                  faisait de temps à autre des voyages en Yougoslavie
                  pour le compte d’une société d’import-export
                  spécialisée dans la mode. Elle
                  commença à peindre, quand elle emménagea rue Charlot,
                  pour justifier le statut d’artiste qu’elle avait
                  déclaré à la propriétaire d’un modeste atelier, en
                  bien piètre état, mais sur lequel elle avait jeté son
                  dévolu. Elle
                  fut aussi dactylo, en arrivant à Paris, dans un bureau
                  des Champs-Élysées où elle tapait d’un seul doigt,
                  sous l’œil amusé mais bienveillant des secrétaires. Au
                  début des années 70, elle trouva un emploi de
                  correctrice d’édition à mi-temps, même si pour venir à
                  bout d’un travail qu’elle effectuait scrupuleusement
                  chez elle, il lui fallait le poursuivre une bonne
                  partie de la nuit. Elle
                  s’éteignit à l’hôpital Saint-Antoine, le 14 août 1995. Depuis
                  je me revois souvent reprendre en pensée le chemin
                  étoilé qui conduisait à son atelier.  | 
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