2022
 15 €
ISBN 978-2- 85452-364-5


Alain Segura

Une saison avec Marianne
La dernière surréaliste



  96 pages, 9 illustrations.

« Je demande l'occultation profonde, véritable du surréalisme », écrit André Breton en 1930. Quelque vingt ans plus tard, quand Marianne rejoint le groupe surréaliste, elle a bien compris l'injonction. Elle ne signera aucune de ses toiles, mais elle écrira au bas d’un des plus beaux tracts de Mai 68 : « Une camarade yougoslave qui en sait long. »
« Pourquoi irais-je au Tibet, si l’Himalaya n’est pas ici ? » Quand on franchissait la porte de son atelier, commençait en effet l’ascension. Marianne aurait eu sa place sur le voilier du Père Sogol cinglant vers le Mont Analogue.
Sa parole était pour ses amis.
Ses éclats, sa fureur aussi. Elle ne dispensait aucun enseignement, mais elle écoutait le peintre, l’écrivain, le sculpteur, exaltant leur patience, leur attention. Le plus souvent, tout se terminait dans un grand éclat de rire. En sortant de son atelier, je croyais sentir la bourrasque du grand vent qui avait balayé mes doutes. Dire qu'elle a beaucoup compté pour moi serait une maladresse que je suis pourtant prêt à commettre parce que c'est la vérité. —  A.S.

Deux illustrations.




Et un deuxième texte par Alain Segura :

Marianne Nikolic est née à Budapest le 10 juillet 1919. Un document officiel retrouvé permet de retracer ses origines familiales. Budapest est alors une ville très cosmopolite. Son père est un diplomate, le nom de jeune fille de son épouse est allemand. De sa mère, qui disparut très vite, elle avait conservé l’image d’une femme vive, aimant les toilettes, au tempérament fougueux que Marianne attribuait à des origines tziganes. Elle aimait s’en réclamer et dire qu’elle lui ressemblait.

Pendant ses jeunes années elle voyagea seule avec son père. Elle gardait de ce temps-là un souvenir radieux, sans doute enjolivé par la nostalgie. Quand elle eut seize ans, une nouvelle épouse apparut et bientôt un autre enfant. C’en était fini de la vie à deux, des voyages en train et des grands hôtels. Marianne songea dès lors à quitter le foyer, ce qu’elle fit sans se retourner, les poches vides.

Elle fit des études de piano et vécut à Belgrade avec un ami musicien qu’elle suivit à Rome en 1941. L’Italie fasciste et l’Allemagne nazie avaient envahi les Balkans. De retour à Belgrade, vers la fin de l’année 1943, Marianne s’empressa de rejoindre le combat des Partisans.

Après la guerre, elle intègre une troupe de théâtre de marionnettes où elle fait la connaissance d’un poète qui allait devenir son mari, Radovan Ivsic. Parmi de nombreux travaux littéraires, ils traduisent Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau. Ils viendront ensemble à Paris au début des années 50. Des contacts noués depuis la Yougoslavie avec les avant-gardes artistiques, les conduisent à partager les activités du groupe surréaliste qu’ils fréquenteront, en ce qui concerne Marianne, jusqu’à la mort d’André Breton.

Je connus Marianne à l’automne 67 grâce à des amis anarchistes. Elle vivait séparée de Radovan depuis plusieurs mois. Elle habitait désormais seule leur appartement de la rue Galande.

J’étais alors très jeune et je me tenais prudemment à l’écart. Drapée dans un long ciré noir, ses phrases avaient le tranchant d’un rasoir. Il n’était pas bon non plus d’affronter son regard. Ces mêmes amis anarchistes, proches des situationnistes, la présentèrent à Guy Debord. Guy, à l’époque, était souvent entouré de courtisans. Rien de tel avec Marianne qui posait des questions dérangeantes : « Qu’est-ce que c’est ce groupe où il n’y a pas de femmes ? » Elle frappait avec force jusque dans les retranchements où s’abritait la bonne conscience révolutionnaire, trop souvent ouvriériste. « Nous n’avons jamais subi pareille critique », s’étonna Guy qui lui trouva aussitôt un surnom : La dernière surréaliste.

C’est à l’automne 68 que je commençai à me rendre rue Galande. Nous étions quelques amis à partager avec elle de longues séances de lecture, souvent quotidiennes, le soir, jusqu’à l’heure du dernier métro.

Marianne faisait de temps à autre des voyages en Yougoslavie pour le compte d’une société d’import-export spécialisée dans la mode.

Elle commença à peindre, quand elle emménagea rue Charlot, pour justifier le statut d’artiste qu’elle avait déclaré à la propriétaire d’un modeste atelier, en bien piètre état, mais sur lequel elle avait jeté son dévolu.

Elle fut aussi dactylo, en arrivant à Paris, dans un bureau des Champs-Élysées où elle tapait d’un seul doigt, sous l’œil amusé mais bienveillant des secrétaires. Au début des années 70, elle trouva un emploi de correctrice d’édition à mi-temps, même si pour venir à bout d’un travail qu’elle effectuait scrupuleusement chez elle, il lui fallait le poursuivre une bonne partie de la nuit.

Elle s’éteignit à l’hôpital Saint-Antoine, le 14 août 1995.

Depuis je me revois souvent reprendre en pensée le chemin étoilé qui conduisait à son atelier.





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