Éditions PLEIN CHANT

Marginalia

Le Cousin Jacques, ou comment habiller ses brochures


Cinquième péritexte


NOTE D'UN CURE DE CE DIOCESE

Il y a dans nos environs deux especes de Poëtes; l’un est l'auteur de Turlututu, & de plusieurs Ouvrages connus; on n'a qu'à jetter un coup-d'œil sur ses productions pour juger de sa maniere de versifier; l’autre est un Curé du voisinage, auteur d'une multitude incroyable de compliments pour les fêtes; ce brave homme, mon confrere, a de l’esprit, & même beaucoup; mais, avouons-le, il n'entend rien à la versification. Il est surprenant qu’on le regarde ici comme un prodige, tandis qu’on ne sçaurait citer un seul bon vers de sa fabrique; toutes ses productions sont un mélange barbare de chevilles affreuses, de rimes épouvantables, d’élisions abominables; en un mot, ses vers, qui n’ont pas la premiere teinture des regles les plus connuës de la versification, m’ont fait plus d’une fois dresser les cheveux;  de sorte qu’il fallait ou m'abstenir entiérement de cette lecture effroyable, ou bien me résoudre à porter perruque*. Le Cousin Jacques que j'ai prévenu, & de l'horrible phrénésie de cet honnête homme de rimailleur, & du crédit incompréhensible qu’il s'est acquis à trente lieues de la capitale, dans un pays où il y a des gens d’esprit et de goût, s'est écrié, comme mal-gré lui: ô honte de ma patrie! ô opprobre du Parnasse Laonnois! je rougis en vérité  de passer pour Poëte dans un pays où l'on se connaît si bien à la versification. Par charité , Monsieur, détruisez cette fatale réputation que m'accordent mes Compatriotes; dites-leur bien, quand ils vous en parleront, que je ne suis pas Poëte. Moi Poëte? ah ! Dieu! quelle calomnie! Il vaut cent fois mieux passer pour Rimailleur, & l'être tout seul, que d'être par honneur confondu dans la classe de pareils écrivains. C'est pour suivre les intentions de cet auteur, que j’adresse cette note à ma Province.

(*) Mauvaise plaisanterie.


Marginalia | Le Cousin Jacques