Revue
PLEIN CHANT
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JEAN-MARC
CHASSAIGNON (1735-1796)
Né à
Lyon d'une ancienne famille d'épiciers, Chassaignon
étudia d'abord chez les Jésuites, mais s 'enfuit dans
1'idée de gagner Genève; arrêté comme voleur, il fut
placé dans plusieurs maisons religieuses dont il
s'échappa. Après avoir vagabondé quelques temps, de
retour à Lyon, il fut poursuivi pour un pamphlet
contre un mauvais prêtre et un magistrat adultère, ce
qui l'obligea à s'exiler en Savoie le temps que
l'affaire s'arrange. Revenu chez lui, il écrivit les Cataractes de
l'Imagination, déluge de scribomanie, vomissement
littéraire, hémorrhagie encyclopédique, monstre des
monstres, par Epiménide l'inspiré, dans l'antre de
Trophonius au pays des Visions (1779). C’est
une « collection hétéroclite des
réflexions les plus diverses», dans l'introduction de
laquelle il fait l'apologie du «genre décousu» et
s'élève contre «les glapissements de nos
géomètres ».
À Paris, en 1783-1784, il rencontra Mesmer et Saint-Martin. D'abord attiré par la Révolution, il s'éleva bientôt dans un pamphlet féroce contre le sang versé: Les Nudités, ou les crimes du peuple (1792). Ayant attaqué le révolutionnaire Chalier, il prit sa défense lorsque celui-ci fut condamné, avec une Offrande à Chalier, ou Idées vraies et philosophiques tracées à la hâte, et offertes à son défenseur officieux (M. Onuphre Moulin) par un homme libre et ami des hommes (1793). Après sa mort, de nombreux manuscrits inédits furent utilisés par son frère épicier pour envelopper ses marchandises. |
Les nudités, ou les crimes
du peuple.
Extrait.SCENE XII Les trois folliculaires, les deux députés, le prêtre, le coupe-tête, le capitaine des gardes. CAMILLE
(la bouche béante, tirant une langue de cerbère, et roulant un œil de Polyphème) J'ai faim.
PRUDHOMME
(faisant craqueter ses dents) Mangeons. CARRIER
(hurlant) Quel mets! CAMILLE
(à Prudhomme) Tu souris!… PRUDHOMME
Je t'entends. ANTONELLE (montrant les meubles en feu qui pétillent à ses pieds) Le brasier est tout prêt. CAMILLE
(regardant avec impatience le cadavre chaud et appétissant) Ne perdons pas de temps. PRUDHOMME
Aux palais surannés
laissons un plat régime,
La chair vive rendre le banquet plus sublime. (JOURDAN
et ROSIER, tous
deux armés d'un coutelas et les manches retroussées,
arrachent les vêtements et la peau du malheureux
Guillin, qui rend le dernier soupir, et ils se mettent
en devoir de le découper.)
CAMILLE
(la salive sur les lèvres) Je veux l'œil. CARRIER
(s'épanouissant) Moi le flanc. ANTONELLE
(avec complaisance) Goûtons de l'avant-bras. PRUDHOMME
(il prend les boyaux, les met en bandoulière et pousse un profond soupir) Ignorant
l'art exquis des civiques repas,
Dans leurs timides jeux,dans leurs fêtes vulgaires, Les ours, ni les lions ne mangent pas leurs ftères; Ils sont privés, hélas! d'esprit et de raison. De la philanthropie il faudrait un rayon Pour les rendre Français. PEREZ
(avec une physionomie et une voix de Mathan) Vous savez…; je suis prêtre,
Et je dois vous instruire à bénir le grand être. Citoyens, cette Agape est un vrai sacrement. C'est la pâque du jour, le corps est tout fumant. SCENE XIII
Les acteurs précédents.
(Une Bacchante apporte des coupes, chaque
convive en prend une et l'emplit du sang qui sort à gros
bouillons des larges plaies de la victime. BRISSOT de
Varville, hors d'haleine, couvert d'une peau de léopard,
tenant une plume dans une griffe et faisant jouer un
poignard avec l'autre; il laisse tomber sa plume et son
poignard, tire un crâne de dessous la peau, le plonge
dans la sainte liqueur… et nos héros patriotes trinquent
ensemble.)
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