Revue PLEIN CHANT



Jean-Marie Chassaignon


De quelques poètes frénétiques Printemps-été 1978, n°37-38, p. 3


JEAN-MARC CHASSAIGNON (1735-1796)


Né à Lyon d'une ancienne famille d'épiciers, Chassaignon étudia d'abord chez les Jésuites, mais s 'enfuit dans 1'idée de gagner Genève; arrêté comme voleur, il fut placé dans plusieurs maisons religieuses dont il s'échappa. Après avoir vagabondé quelques temps, de retour à Lyon, il fut poursuivi pour un pamphlet contre un mauvais prêtre et un magistrat adultère, ce qui l'obligea  à s'exiler en Savoie le temps que l'affaire s'arrange. Revenu chez lui, il écrivit les Cataractes de l'Imagination, déluge de scribomanie, vomissement littéraire, hémorrhagie encyclopédique, monstre des monstres, par Epiménide l'inspiré, dans l'antre de Trophonius au pays des Visions (1779). C’est une « collection hétéroclite des réflexions les plus diverses», dans l'introduction de laquelle il fait l'apologie du «genre décousu» et s'élève contre «les glapissements de nos géomètres ».

À Paris, en 1783-1784, il rencontra Mesmer et Saint-Martin. D'abord attiré par la Révolution, il s'éleva bientôt dans un pamphlet féroce contre le sang versé
: Les Nudités, ou les crimes du peuple (1792). Ayant attaqué le révolutionnaire Chalier, il prit sa défense lorsque celui-ci fut condamné, avec une Offrande à Chalier, ou Idées vraies et philosophiques tracées à la hâte, et offertes à son défenseur officieux (M. Onuphre Moulin) par un homme libre et ami des hommes (1793).

Après sa mort, de nombreux manuscrits inédits furent utilisés par son frère épicier pour envelopper ses marchandises.












Les nudités, ou les crimes du peuple.
Extrait.


SCENE XII


Les trois folliculaires, les deux députés, le prêtre, le coupe-tête, le capitaine des gardes.

CAMILLE
(la bouche béante, tirant une langue de cerbère, et roulant un œil de Polyphème)

J'ai faim.
PRUDHOMME
(faisant craqueter ses dents)

Mangeons.
CARRIER
(hurlant)

Quel mets!
CAMILLE
(à Prudhomme)

Tu souris!…
 
PRUDHOMME

Je t'entends.

ANTONELLE
(montrant les meubles en feu qui pétillent à ses pieds)

Le brasier est tout prêt.

CAMILLE
(regardant avec impatience le cadavre chaud et appétissant)

Ne perdons pas de temps.

PRUDHOMME

Aux palais surannés laissons un plat régime,
La chair vive rendre le banquet plus sublime.

(JOURDAN et ROSIER, tous deux armés d'un coutelas et les manches retroussées, arrachent les vêtements et la peau du malheureux Guillin, qui rend le dernier soupir, et ils se mettent en devoir de le découper.)

CAMILLE
(la salive sur les lèvres)

Je veux l'œil.
 
 CARRIER
(s'épanouissant)

Moi le flanc.

ANTONELLE
(avec complaisance)

Goûtons de l'avant-bras.

PRUDHOMME
(il prend les boyaux, les met en bandoulière et pousse un profond soupir)

Ignorant l'art exquis des civiques repas,
Dans leurs timides jeux,dans leurs fêtes vulgaires,
Les ours, ni les lions ne mangent pas leurs ftères;
Ils sont privés, hélas! d'esprit et de raison.
De la philanthropie il faudrait un rayon
Pour les rendre Français.
 
PEREZ
(avec une physionomie et une voix de Mathan)


Vous savez…; je suis prêtre,
Et je dois vous instruire à bénir le grand être.
Citoyens, cette Agape est un vrai sacrement.
C'est la pâque du jour, le corps est tout fumant.

SCENE XIII
 
Les acteurs précédents.

(Une Bacchante apporte des coupes, chaque convive en prend une et l'emplit du sang qui sort à gros bouillons des larges plaies de la victime. BRISSOT de Varville, hors d'haleine, couvert d'une peau de léopard, tenant une plume dans une griffe et faisant jouer un poignard avec l'autre; il laisse tomber sa plume et son poignard, tire un crâne de dessous la peau, le plonge dans la sainte liqueur… et nos héros patriotes trinquent ensemble.)

[…]
 








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