Revue PLEIN CHANT


Eugène Pottier (1816-1887)


Revue Plein Chant, Cahiers trimestriels de littérature
Ouvriers-poètes du XIXe siècle, Hiver 1979, n° 4, p. 79.



LE COMMIS-POËTE

Air : Calpigi

C'est mon commis qui fait ma gloire
À sa santé nous allons boire
Il est poëte en lui j'ai là
Une machine à Lariffla
Je paye une muse à l'année
En lui, ma maison couronnée
Passe à l'actif des lauriers verts
Vive un commis qui fait des vers.

Lui seul fait ma correspondance
Écrit, répond… quand il y pense
En collaborateur parfait
Les vers je les signe, il les fait
Et l'on se dit de proche en proche
Pour les dessins rimés, Laroche
Est le premier de l'univers
Vive un commis qui fait des vers.

Quand je veux des couplets de fête
Pour qu'il s'inspire je lui prête
Béranger, Molière… ou Dumas
Qu'il me rend – s'il ne les perd pas
Mais je garde pour hypothèque
Au fond de ma bibliothèque
Tous ses drames rongés aux vers
Vive un commis qui fait des vers.

Sonne un Anglais, client sublime
Lui prêt d'éternuer une rime
Ouvre sans savoir ce qu'il fait
L'un dit Oh! l'autre Ah! bel effet
Voyant son air rêveur… ou bête
L'anglais part, se fourrant en tête
Qu'on l'a regardé de travers
Vive un commis qui fait des vers.

S'il part toucher une facture
Il vague, il rôde à l'aventure
Et le soir rentre à la maison
Ayant en poche une chanson
Sur l'air « l'or est une chimère »
Et, réalité trop amère
« Pas, dit-il, de bureaux ouverts »
Vive un commis qui fait des vers.

Flâneur, la rime est son excuse
Je ne dis pas qu'il en abuse
Mais, grand Dieu ! si l'on calculait
Le prix de revient du couplet
Au bout de l'an quel dividende
Hugo, m'en ferait, de commande
Pas meilleurs, c'est vrai, mais moins chers
Vive un commis qui fait des vers.

Paris 1846






Grâce aux commentaires de Pierre Brochon (Plein Chant, p. 90), on sait que le commis poète est Pottier lui-même, et Laroche – celui qui s'exprime dans les couplets –  son patron depuis environ 1838. Dessinateur chez Laroche jusque 1864, Pottier à la fin de sa vie  jugeait avoir été  exploité par lui : en tout cas, il l'écrivit dans une lettre à Lafargue, que l'on pourra lire dans la revue.

x



Revue Ouvriers poètes du XIXe siècle | Catalogue de la revue Plein Chant | Accueil